Le sous-sol étretatais

Les falaises montrent suffisamment aux Etretatais et aux visiteurs la dominance de la craie et du silex dans la composition géologique du paysage local. Mais si la craie à silex constitue le squelette de cette structure minérale, elle ne doit pas en faire oublier l’épiderme, d’une composition beaucoup plus variée, et que les géologues qualifient parfois de « formations superficielles », même si l’épaisseur de ce manteau est parfois loin d’être négligeable…

Un cormoran se chauffe au soleil, accroché à la paroi de craie et de silex constituant la falaise d’Amont

Une vallée sans rivière…

Le village d’Etretat, bâti dans la vallée (vue vers le sud)

Le village d’Etretat est situé à l’embouchure d’une vallée bien marquée dans le paysage avec sa  largeur de 320 mètres, qui lui vaut son nom de Grand Val ; son fond est plat et son encaissement (90 mètres) n’est pas négligeable. Le talweg naît à 130 mètres d’altitude sur le plateau cauchois à Vattetot-sous-Beaumont, soit une longueur totale de 26,7 kilomètres, bien au-delà de la mesure du plus petit fleuve de France, la Veules, dont le cours n’est que de 1194 mètres. Ce n’est pas une simple « valleuse » comme le sont ses voisines de Bruneval, d’Antifer, de Bénouville, de Vaucottes ou d’Etigues puisqu’à la différence de ces dernières, suspendues dans la falaise par le recul de la côte, son débouché est de plain-pied avec la mer.

La vallée d’Etretat d’après la carte de Cassini (1757)

Plusieurs petites vallées sèches affluent vers la vallée d’Etretat pour former un bassin de réception des eaux d’une surface totale de 147 km² ; en rive gauche, elle reçoit à Cuverville la confluence du Val Misère et de la Renelle venant de Goderville, puis de plusieurs petits vallons et enfin, à Pierrefiques, d’une vallée venant de Criquetot-l’Esneval. En revanche, de la rive droite ne vient qu’un vallon notable, le Petit Val, qui rejoint le Grand Val à la hauteur de l’église d’Etretat. La proximité de cette confluence au village explique la violence des inondations qui ont régulièrement frappé Etretat dans le passé, le Petit Val constituant un chenal d’écoulement long de 7,5 km pour les eaux de pluie excédentaires tombées sur le plateau, drainant une surface totale de 13,2 km².

Le Petit Val et Etretat à l’arrière-plan

Bref, il ne manque qu’une chose à la rivière d’Etretat pour figurer au même rang que le Dun, l’Arques, la Saâne, la Valmont ou la Durdent : un écoulement permanent. Car la vallée d’Etretat est une vallée sèche -tout au moins actuellement car il a bien fallu l’action prolongée d’une rivière pour creuser une telle incision. Depuis l’abbé Cochet, les historiens locaux confèrent une date historique et une origine catastrophique à la disparition de cette rivière ; ils citent à l’appui de cette hypothèse plusieurs cartes du XVIIe s., quelques ouvrages de la fin du XVIII s. et aussi une légende, celle d’une  bohémienne à qui le meunier de Grainville-l’Alouette (aujourd’hui Grainville-Ymauville) refusa la charité et qui se vengea en faisant disparaitre la rivière sous terre par un sortilège.

Carte du XVIIIe s. conservée à la Maison de l’Armateur au Havre (source Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tretat)

… mais pas sans eau

Ce que chacun peut constater, c’est qu’il existe bel et bien un écoulement souterrain dans la vallée d’Etretat ; en témoignent les sources qui surgissent du cordon de galets à marée basse, en aval (les Laveuses, dont le débit mesuré en 1969 par le BRGM est de 45 litres par seconde) comme en amont (la Fontaine d’Olive, dont le débit est estimé à 50 l/s). Ces eaux sont captées dans le Grand Val par des forages pour la consommation des Etretatais. La circulation souterraine est d’origine karstique, c’est-à-dire qu’elle s’écoule par des cavités creusées dans la craie par les eaux elles-mêmes.

La source où les Etretataises venaient laver le linge jusqu’à la Belle Epoque
Débit de l’eau sourdant du cordon de galets
La source amont, surtout visible aux grandes marées

Le bassin versant des eaux souterraines d’Etretat, mesuré à partir de la surface piézométrique de la nappe, est de 52 km² (rapport du BRGM), bien en-dessous de la surface du bassin-versant de surface. Les hydrogéologues du BRGM expliquent cette différence par la captation par le réseau souterrain d’Yport des eaux de la partie amont du bassin d’Etretat ; l’importance de la résurgence sur la plage d’Yport (250 l/s) en témoigne et la preuve de ce détournement a été fournie par les différents tests de traçage par coloration qui ont été effectués en amont du bassin depuis les années 1970. L’explication tient à la configuration tectonique de ce secteur : la faille de Lillebonne-Fécamp, dont le rejet maximum est estimé à 120 ou 150 mètres, présente une orientation grossièrement nord-nord-ouest/sud-sud-est ; son tracé, jalonné par de nombreuses manifestations karstiques, passe par Vattetot-sous-Beaumont et Grainville-Ymauville et détermine une gouttière qui draine les eaux souterraines vers le Nord. D’autres failles secondaires détermineraient par ailleurs le tracé de la vallée d’Etretat et de certains de ses affluents comme celui du Bois des Loges.

Sous le goudron, les alluvions

Qui dit vallée, dit alluvions. On peut donc s’attendre à trouver sous le village les traces des sédiments provenant de l’érosion des pentes et du plateau, en même temps d’ailleurs que les vestiges des sédiments marins laissés par les épisodes de submersion, comme il s’en produit encore lors des plus grandes tempêtes.

L’abbé Cochet a signalé l’abondance des galets dans le sous-sol étretatais ; d’après lui il existait à la fin du XVIIIe s. « une masse énorme de galets, nommée « le Petit Perrey », à 125 m de la plage actuel ». Aujourd’hui nous disposons, grâce aux études réalisées par le BRGM et surtout par le Centre d’Etudes Techniques de l’Equipement de Rouen (aujourd’hui dissous), de données précises sur la composition du sous-sol et ses variations dans la vallée.

Carte géomorphologique d’Etretat, localisation des sondages du CETE en encart
©Les carnets de Polycarpe

Les sondages effectués au XXe s. au niveau du cordon littoral ont rencontré, de haut en bas :

  1. des galets marins sur 3 à 4 mètres d’épaisseur,
  2. par endroits, un cailloutis de silex plus ou moins mêlé de sable, sur une épaisseur maximale de 3 mètres,
  3. sur les bordures nord et sud de la plaine alluviale, un banc de tourbe d’une épaisseur maximale de 3 mètres ; vers le milieu de la vallée, les tourbes laissent la place à des sables et des silts marins,
  4. un cailloutis de silex limono-sableux, parfois grossièrement lité, épais de 2 à 10 mètres, remplacé au pied du versant nord par une formation sableuse d’origine fluvio-marine.
Sondages au niveau du perré d’Etretat (source : CETE de Rouen)

En arrière du cordon littoral, au niveau des places Victor Hugo et du Général de Gaulle, l’épais cailloutis de la base, qui représente la nappe alluviale attribuable à la dernière glaciation, est recouvert par des couches de limon plus ou moins vaseux contenant parfois des coquilles, de sable plus ou moins grossier et de galets qui constituent les alluvions les plus récentes de l’ancienne rivière et les dépôts d’incursions marines.

Sondages en arrière du cordon littoral (source : CETE de Rouen)

Ces séquences stratigraphiques traduisent l’action antagoniste des sédimentations fluviale d’une part et marine d’autre part. La présence de de la tourbe et sa localisation sur les côtés de la vallée tendent à montrer que la plaine alluviale devait être occupée à l’Holocène par un marais littoral parcouru de plusieurs chenaux divagants, à l’instar de ce que l’on peut encore voir à l’embouchure de la Saâne ou de la Scie.

Dans le camping du Grand Val un sondage, ouvert à la cote +7,26 m CMH, a atteint la craie sous un cailloutis argilo-sableux alluvionnaire à 8,49 m de profondeur, ce qui situe le toît de la roche à la cote -1,23 m. Dans le centre du village, la craie n’est atteinte qu’à la cote – 2 à -4 m dans l’axe du talweg mais elle remonte rapidement vers les versants (-2,12 m d’altitude absolue au pied du versant méridional, -4.29 m au pied du versant septentrional). Ces cotes sont données par rapport à la CMH (Cote Marine du Havre) située à 4,378 m au-dessus de la cote NGF (qui se réfère au marégraphe de Marseille), ce qui implique que le fond de la vallée est surcreusé jusqu’à la cote -8 m NGF, en-dessous du niveau de la mer actuelle.

Ceci ne doit pas surprendre car les glaciations du Quaternaire ont provoqué des baisses du niveau de la mer (régressions marines), allant jusqu’à -100 mètres, asséchant ainsi la Manche à plusieurs reprises. La vallée d’Etretat rejoignait alors la Paléo-Seine qui coulait, aux périodes les plus froides, dans un désert de type polaire. En revanche les périodes interglaciaires voient la fonte des glaces et la remontée du niveau marin (transgression), jusqu’à 2 mètres au-dessus de l’actuel lors de l’interglaciaire eemien (il y a 130.000 ans). La dernière transgression a débuté il y a plus de 10.000 ans et c’est celle qui est responsable des dépôts recouvrant la nappe alluviale grossière.

Et sous les villas ?

Les versants du Grand Val ont vu fleurir les villas du milieu du XIXe s. jusqu’à la Première Guerre Mondiale, pour l’essentiel. Ces versants présentent une certaine dissymétrie, comme c’est souvent le cas en Normandie. Le versant méridional, exposé au nord-est, est en pente légèrement plus douce (11°) que le versant septentrional exposé au sud-ouest (12 à 15 °).

Le premier présente, dans sa partie sommitale et médiane, un cailloutis de silex recouvrant la craie tandis que la partie basale présente, au-dessus du cailloutis, une couche de limon pouvant atteindre 2,5 m d’épaisseur. Lors de la construction des immeubles « les Bosquets » à côté du château du Grand Val, la succession suivante a été observée :

  1. Terre végétale,
  2. Limon jaune-orangé finement lité, épais de 0,6 m ; un petit foyer d’âge indéterminé se situait à la base de cette couche,
  3. Limon grisâtre à gros lits bruns, épais de 0,5 à 0,6 m, contenant des silex taillés néolithiques,
  4. Limon argileux orange finement lité avec glosses et taches d’hydromorphie, épais de 0,9 à 1,0 m,
  5. Cailloutis de silex hétérométrique à matrice sablo-argileuse, à surface irrégulière (bombements et cuvettes).

Le versant opposé montre une stratigraphie légèrement différente : vers le haut de la pente, la craie, fragmentée par le gel sur quelques décimètres d’épaisseur, est recouverte d’une argile rouge à silex d’un mètre d’épaisseur environ ; vers le bas de pente, le sommet de la craie est recouvert d’une brèche cimentée sur quelques décimètres d’épaisseur ; enfin, à la base du versant, des colluvions limoneuses épaisses d’une cinquantaine de centimètres recouvrent un dépôt de solifluxion crayeux.

Pour en savoir plus :

2 commentaires sur “Le sous-sol étretatais”

  1. Bonjour,
    Je reprends un cycle d’étude à l’école des Mines et je fais un petit travail sur l’écoulement des eaux pluviales. J’ai souhaité prendre comme exemple Etretat car j’y habite, et aussi l’exemple des villes et villages côtiers me semble très intéressant.
    J’avais déjà lu beaucoup de choses sur votre site que je trouve excellent, plein d’informations documentées.
    Malheureusement rien sur mon sujet.
    Je suis allée à la mairie, qui m’a orientée vers le site des Eaux de Normandie. Rien de précis sur le site.
    Je pense donc les appeler, mais je me demandais si vous aviez des informations à ce sujet.
    Bien cordialement,

    1. Bonjour,
      Je vous remercie de votre commentaire et suis heureux que vous appréciiez mon site. Sur le sujet de l’écoulement des eaux pluviales, je n’ai malheureusement pas de renseignements précis, en dehors des témoignages d’époques et écrits d’historiens sur les grandes inondations survenues à Etretat depuis le 19e siècle. Concernant l’hydrogéologie, mes sources (sans jeu de mots) sont les rapports du BRGM et les articles de karstologues comme Joël Rodet. Pour le côté technique (travaux de génie civil, creusement des bassins de retenue et des chenaux d’écoulement, etc.), la mairie dispose sans doute d’archives sur le sujet. Les archives municipales ont été reclassées récemment par deux bénévoles sous la tutelle des archives départementales de Seine-Maritime (https://www.etretat.fr/download/etretat_magazine_n%C2%B03_-_version_finale.pdf),peut-être pourriez-vous voir de ce côté. Peut-être que les services de la Communauté Urbaine du Havre, qui a repris le schéma directeur de l’assainissement lancé par la commune en 2013, dispose aussi de documents qui pourraient vous intéresser.
      Bien cordialement

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