La politique à Étretat

Lorsque Étretat est mentionné dans les médias, c’est rarement pour des affaires liées à la politique. Les Étretatais, en bons Cauchois, sont des gens prudents et réservés, cette méfiance étant doublée d’un certain scepticisme : moins qu’on en dit, mieux qu’on s’porte. Alphonse Karr rapporte une conversation qu’il eut à Étretat en 1840 à propos de la réforme électorale qui agitait alors l’opinion : « (…) ici, à Etretat, Valin, le garde-pêche, que je consultai sur les idées d’Etretat à propos de la « reforme électorale », étendit ses deux bras vers la mer, me la montrant immense et calme ce jour-là, et me dit : -Eh! Monsieur Alphonse, que voulez-vous que ça nous fasse ? » (A. Karr, Livre de bord, tome 2, 1880, p. 245). Est-ce à dire qu’Étretat est un lieu éthéré, situé hors du monde et de ses agitations ? Évidemment non, d’autant que la métamorphose du village de pêcheurs en station balnéaire renommée a précocement rendu la communauté villageoise perméable au fait national ; les personnalités de premier-plan de la vie publique qui la fréquentent successivement depuis un siècle et demi ont jeté des passerelles inattendues entre le petit village et la capitale, centre du pouvoir.

Occasionnellement, le sang des Étretatais peut s’échauffer jusqu’au point que l’on prête ordinairement aux tempéraments plus méridionaux. Je pense à la fameuse querelle clochemerlesque des Guilleux et des Cabaleux, expression d’un réel clivage politique au début du siècle passé.

Dans les années qui précédèrent la guerre de 1914 l’un des chefs des Républicains était François Jeanne, surnommé l’Empereur. On se souvient encore, dans le pays, de cette élection à laquelle participèrent une vingtaine d’ouvriers bretons, travaillant alors à la Ferme Modèle, que François Jeanne fit descendre au scrutin en cortège, drapeau en tête, et qui contribuèrent à assurer le succès des gauches. En ce temps, l’opposition se matérialisait dans la rivalité des deux musiques, celle de droite (dont le chef était l’horloger Leguy) et celle de gauche. Selon qu’on appartenait à un clan ou à l’autre, on était « guyeux » ou « cabaleux ».

Raymond Lindon, 1963, p. 115

Le paroxysme de l’affrontement, si on en croit Raymond Lindon, eut lieu un certain jour de Fête Nationale durant laquelle, s’écartant d’un protocole préalablement accepté, les deux fanfares entonnèrent en même temps, l’une Les Trompettes d’Aïda, aux accents éloquemment martiaux, l’autre La marche des Petits Pierrots d’Auguste Bosc, dont les paroles, écrites par Albert Cellarius et Eugène Héros, se terminent par ce couplet : « Allons bourgeois trop au repos/Travaillez à faire des marmots/Et des petits pierrots/Sans crainte allons suivez la trace »… Les choses s’arrangèrent par la suite avec la fusion des deux cliques dans l’Union musicale étretataise.

La mairie d’Étretat vue de la rue Aristide Briand

Sociologie électorale : une commune littorale ancrée à droite

Les premiers résultats électoraux dont nous disposons pour la commune sont ceux de l’élection présidentielle de décembre 1848, qui fait suite à la Révolution de février ayant rétabli la République. Étretat se distingue de la plupart des autres communes du département (et d’une bonne partie de la France) par le faible score du candidat bonapartiste ; sur 764 votants, 106 suffrages seulement (14 % des votants) se sont portés sur Louis-Napoléon Bonaparte, 634, soit 83 % des voix, sur Cavaignac (républicain modéré), 17 sur Ledru-Rollin (gauche modérée) et un seul sur Lamartine, 6 bulletins étant considérés comme nuls. Raspail, candidat de la gauche radicale, n’avait de son côté recueilli aucun suffrage (source : Journal de Rouen du 13/12/1848). Alphonse Karr, jamais très modeste, s’attribua le mérite de ce résultat : «  En 1848, on me députa un Etretatais pour me demander s’il fallait voter, et pour qui, à la suite de quoi tout Etretat, et presque tout Sainte-Adresse (lieu de résidence d’Alphonse Karr) votèrent à bulletin ouvert pour Eugène Cavaignac. » (A. Karr, op. cit., p. 247).

À l’élection législative partielle du 14 octobre 1849, les résultats furent les suivants (Journal de Rouen du 16/10/1849) :

  n % des votants
Inscrits 1042  
Votants 329  
Mathieu Bourdon (conservateur) 249 75,7
Frédéric Deschamps (gauche modérée) 80 24,3

Les élections qui se sont déroulées durant la IIIe République ont confirmé le rangement de la population étretataise dans le camp républicain ; aux élections législatives de janvier 1889, Delaunay, conseiller général républicain, a obtenu à Étretat 227 voix,  devançant le baron Piérard, conservateur, qui n’a recueilli que 133 voix ; l’écart se creuse au scrutin du 21 janvier 1894 où Delaunay bat Piérard par 285 voix contre 109 voix (Journal de Rouen du 22 janvier1894).

Traditionnellement, les communes littorales françaises sont plutôt marquées à gauche ; les ports, en Normandie comme dans les autres régions maritimes, votent plus à gauche que les autres villes. Le Havre et Dieppe ont été pendant longtemps les villes françaises les plus importantes à être dirigées par un maire communiste, en dehors de la banlieue parisienne ; de même, Fécamp est encore un bastion socialiste même si cette hégémonie est largement battue en brèche par des dissensions internes de la gauche locale.

Le déclin général du secteur portuaire et des activités liées à la pêche ont sérieusement mis à mal l’orientation progressiste de ces communes : de plus en plus le contraste politique s’estompe entre le littoral et son hinterland rural et agricole qui, lui, a toujours été conservateur ; Le Havre a basculé à droite en 1995. A Étretat, la disparition de la classe des pêcheurs et son remplacement par une population de commerçants et de retraités au cours du XXe s. ont modifié la structure sociale de la commune, qui se reflète dans son orientation politique qu’on peut globalement qualifier de conservatrice.

La taille réduite de la commune la rattachait, avant la loi de mai 2013, au régime du scrutin majoritaire plurinominal limité lors des élections municipales et le panachage entre les listes était possible. Depuis, le scrutin proportionnel de liste à deux tours s’applique, ce qui politise un peu plus le débat. Toutefois, on sait que les listes, dans les communes de moins de 10.000 habitants, se réclament rarement d’une étiquette politique ; les divergences y tiennent plus fréquemment à des affrontements de personnalités voire à de vieux différends, dans une communauté où tout le monde se connaît. C’est le cas à Étretat, même si les clivages idéologiques peuvent transparaître dans certains débats, par exemple lorsqu’il a fallu, à la suite de la loi NOTRe, choisir entre le rattachement à la communauté urbaine du Havre (dirigée par la droite) ou à la communauté d’agglomération de Fécamp (dirigée par la gauche). C’est l’association avec la CU du Havre qui a été choisie malgré la plus grande proximité de l’ancienne capitale des terre-neuvas.

Les résultats des scrutins électoraux, exposés dans les tableaux ci-dessous, montrent clairement l’orientation politique de la majorité de la population étretataise vers la droite, et plus précisément vers la droite modérée. L’extrême-droite attire toutefois une part non négligeable des électeurs, jusqu’à obtenir le quart des suffrages aux dernières élections présidentielles (par souci d’exactitude, nous indiquons les pourcentages des inscrits, beaucoup plus conformes à la réalité). L’extrême-gauche et le courant écologiste, en revanche, ne recueillent que très peu de bulletins de vote.

2e tour législatives 1993 étiquette voix % inscrits % exprimés
Charles Revet UDF 671 49,2 66,9
Frédérique Bredin PS 332 24,3 33,1

Source : https://www.data.gouv.fr/fr/posts/les-donnees-des-elections/

présidentielles 1995 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 20,7 % 19,4 %  
E. Balladur 21,4 % Union pour la démocratie française
J. Chirac 18,6 % 49,1 % Rassemblement pour la république
J.-M. Le Pen 10,7 % 27,4 % Front national
L. Jospin 14,6 % Parti socialiste
R. Hue 4,5 % Parti communiste
P. de Villiers 2,3 % Mouvement pour la France
A. Laguiller 2,3 % Lutte ouvrière
D. Voynet 2,2 % Les verts
J. Cheminade 0,2 % Fédération pour une nouvelle solidarité
Blancs et nuls 2,4 % 4,1 %  
n inscrits 1414 1414  

Source : http://www.politiquemania.com/presidentielles-1995-commune-seine-maritime-76254.html

2e tour législatives 1997 étiquette voix % inscrits % exprimés
Daniel Fidelin UDF 572 40,7 57,5
Frédérique Bredin PS 423 30,1 42,5

Source : https://www.data.gouv.fr/fr/posts/les-donnees-des-elections/

présidentielles 2002 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 25,9 % 19,0 %  
J. Chirac 21,3 % 63,2 % Rassemblement pour la république
J.-M. Le Pen 10,3 % 14,7 % Front national
L. Jospin 8,2 % Parti socialiste
F. Bayrou 5,4 % Union pour la démocratie française
A. Madelin 3,9 % Démocratie libérale
N. Mamère 3,6 % Les verts
J.-P. Chevènement 3,1 % Pôle républicain
O. Besancenot 3,0 % Ligue communiste révolutionnaire
A. Laguiller 3,0 % Lutte ouvrière
J. Saint-Josse 2,7 % Chasse, pêche, nature et traditions
C. Lepage 2,2 % Ecologiste
B. Mégret 1,7 % Mouvement national républicain
C. Taubira 1,2 % Parti radical de gauche
R. Hue 0,9 % Parti communiste français
C. Boutin 0,9 % Forum des républicains sociaux
D. Gluckstein 0,1 % Parti des travailleurs
Blancs et nuls 2,3 % 3,2 %  
n inscrits 1384 1384  

Source : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2002/resultats-elections/ville-etretat-76790_76254.html

2e tour législatives 2002 étiquette voix % inscrits % exprimés
Daniel Fidelin UMP 558 40,2 63,99
Patrick Jeanne PS 314 22,6 % 36,01

Source : https://mobile.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives_2002/(path)/legislatives_2002/index.html

présidentielles 2007 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 14,6 % 14,3 %  
N. Sarkozy 31,7 % 51,7 % Union pour un mouvement populaire
F. Bayrou 16,4 % Union pour la démocratie française
S. Royal 15,6 % 32,1 % Parti socialiste
J.-M. Le Pen 9,0 % Front national
O. Besancenot 3,8 % Ligue communiste révolutionnaire
P. de Villiers 1,9 % Mouvement pour la France
D. Voynet 1,7 % Les Verts
J. Bové 1,2 % Écologiste
Marie-Georges Buffet 1,2 % Parti communiste français
A. Laguiller 1,0 % Lutte ouvrière
G. Schivardi 0,6 % Comité national pour la reconquête de la démocratie
F. Nihous 0,5 % Chasse, pêche, nature et traditions
Blancs et nuls 0,7 % 2,0 %  
n inscrits 1375 1378  

Source : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2007/resultats-elections/ville-etretat-76790_76254.html

2e tour législatives 2007 étiquette voix % inscrits % exprimés
Daniel Fidelin UMP 582 41,7 66,6
Estelle Grelier PS 292 20,9 33,4

Source : https://mobile.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives_2007/(path)/legislatives_2007/076/07625409.html

présidentielles 2012 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 16,7 % 15,9 %  
N. Sarkozy 31,5 % 46,1 % Union pour un mouvement populaire
F. Hollande 19,0 % 33,4 % Parti socialiste
M. Le Pen 13,5 % Front national
J.-L. Mélenchon 8,3 % Front de gauche
F. Bayrou 5,6 % Modem
E. Joly 1,7 % Europe écologie les Verts
N. Dupont-Aignan 1,2 % Droite républicaine
P. Poutou 0,9 % Nouveau parti anticapitaliste
N. Arthaud 0,4 % Lutte ouvrière
J. Cheminade 0,1 % Solidarité et progrès
Blancs et nuls 1,3 % 4,6 %  
n inscrits 1333 1333  

Source : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2012/resultats-elections/ville-etretat-76790_76254.html

2e tour législatives 2012 étiquette voix % inscrits % exprimés
Daniel Fidelin UMP 451 33,9 57,2
Estelle Grelier PS 338 25,4 42,8

Source : https://mobile.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__LG2012/(path)/LG2012/076/07609254.html

présidentielles 2017 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 16,7 % 21, 3 %  
E. Macron 20,0 % 46,1 % En marche
M. Le Pen 15,3 % 23,8 % Rassemblement national
F. Fillon 21,8 % Les Républicains
J.-L. Mélenchon 13,4 % La France insoumise
N. Dupont-Aignan 4,3 % Debout la France
B. Hamon 3,8 % Parti socialiste
P. Poutou 1,0 % Nouveau parti anticapitaliste
J. Lassalle 0,9 % Indépendant
N. Arthaud 0,7 % Lutte ouvrière
F. Asselineau 0,5 % Union populaire républicaine
J. Cheminade 0,2 % Solidarité et progrès
Blancs et nuls 1,5 % 8,7 %  
n inscrits 1228 1229  

Source : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2017/resultats-elections/ville-etretat-76790_76254.html

2e tour législatives 2017 étiquette voix % inscrits % exprimés
Stéphanie Kerbarh REM 375 30,5 72,4
Geneviève Salvisberg FN 143 11,6 27,6

Source : https://mobile.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/076/07609254.html

Les résultats des toutes dernières élections n’apportent pas de surprise ; les habitants d’Étretat continuent à voter majoritairement à droite, comme une bonne partie de l’ouest du pays. Toutefois l’extrême-droite ne réalise pas d’avancée spectaculaire à Étretat, à la différence d’autres parties de la Normandie.

présidentielles 2022 1er tour 2e tour étiquette
Abstention 26,0 % 23,5 %  
E. Macron 27,9 % 46,9 % En marche
M. Le Pen 14,9 % 24,5 % Rassemblement national
V. Pécresse 5,4 % Les Républicains
J.-L. Mélenchon 11,6 % La France insoumise
N. Dupont-Aignan 0,9 % Debout la France
A. Hidalgo 0,6 % Parti socialiste
Ph. Poutou 0,5 % Nouveau parti anticapitaliste
J. Lassalle 1,4 % Résistons !
N. Arthaud 0,5 % Lutte ouvrière
E. Zemmour 4,7 % Reconquête
Y. Jadot 3,5 % Europe-Écologie-Les Verts
F. Roussel 1,4 % Parti communiste français
Blancs et nuls 7 60  
n inscrits 1178 1179  

Source : https://www.lemonde.fr/resultats-elections/etretat-76254/

2e tour législatives 2022 étiquette voix % inscrits % exprimés
Marie-Agnès Poussier-Winsbach REM 397 33,8 71,8
Nicolas Goury RN 156 13,3 28,2

Source : https://elections.actu.fr/normandie/etretat_76254

Les figures politiques étretataises

Malgré ce goût modéré des Étretatais pour la politique, un certain nombre de personnalités étretataises, de naissance ou (plus souvent) d’adoption se distinguent par leur parcours politique. En premier lieu les maires, puisque c’est le premier échelon de la représentation politique et théoriquement le plus proche du corps électoral.

Les maires d’Étretat

Plusieurs rues ou places d’Étretat portent le nom d’un ancien premier magistrat de la commune : Charles Mottet, Martin Vatinel, Augustin-Thomas Monge, Adolphe Boissaye, Prosper Brindejont, Georges Flory. Certains ont laissé chez les Étretatais une empreinte plus durable que d’autres ; nous évoquerons ici le souvenir de quatre personnalités, toutes masculines. Il faut dire que les trois femmes qui ont été élues par la population étretataise ne représentent que 8 % du total ; la première, Françoise Lieury, a été élue en 1961, dix-sept ans après l’ordonnance accordant enfin le droit de vote aux femmes françaises. Rappelons qu’à part les brefs épisodes de la Ière et de la IIe République, les maires ont été nommés par les préfets jusqu’à la naissance de la IIIe République et l’instauration définitive du système électif.

Mandat Maire
1794 à 1796 Jean-Baptiste MORIN
1796 à 1797 Jean GOUMENT
1797 à 1800 Adrien DECHAMPS
1800 à 1808 Jean GOUMENT
1808 à 1811 Adam de GRANDVAL
1811 à 1821 Pierre LEGROS
1821 à 1830 Jean-Pierre FEUGUERAY
1830 à 1831 Pierre-Simon BLANQUET
1831 à 1843 Jacques-Guillaume FAUVEL
1843 à 1848 Étienne-François GENTIL
1848 à 1852 Philippe LE DENTU
1852 à 1858 Jacques-Guillaume FAUVEL
1858 à 1860 Jean-Baptiste LENUD
1860 à 1864 André-Alphonse LOTH
1864 à 1870 Charles MOTTET
1870 à 1871 Martin VATINEL
1871 à 1875 Augustin-Thomas MONGE
1875 à 1876 Charles MOTTET
1876 à 1883 Pierre Jules Hilaire ONO dit BIOT
1883 à 1884 Adolphe BOISSAYE
1884 à 1884 P.-M. de MIRAMONT
1884 à 1892 Adolphe BOISSAYE
1892 à 1898 Prosper BRINDEJONT
1898 à 1904 Alexandre CHOUET
1904 à 1919 Georges FLORY
1919 à 1921 Paul LEVEL
1921 à 1925 Henri SARAZIN-LEVASSOR
1925 à 1929 Georges FLORY
1929 à 1959 Raymond LINDON
1959 à 1961 Lucien DELAJOUX
1961 à 1965 Françoise LIEURY
1965 à 1971 Henri COLLIN
1971 à 2001 Henri DUPAIN
2001 à 2005 Monique CHEVESSIER-XIBERAS
2005 à 2008 Jean Bernard CHAIX
2008 à 2016 Franck COTTARD
2016 à 2020 Catherine MILLET
Depuis mars 2020 André BAILLARD

Liste des maires d’Étretat

Mme M… (Monge) a certains amis dévoués que lui vaut son cœur excellent, et bon nombre d’ennemis qu’elle doit à son esprit caustique. Jadis reine municipale de ce petit bourg, elle dominait dans le conseil et à la mairie ; améliorant, réformant, modifiant, transformant, luttant héroïquement contre la routine tandis que son mari, architecte de grand mérite et homme d’esprit par surcroît, traçait le plan d’un Etretat nouveau, fait de marbre et de porphyre. Hélas nous vivons dans des temps où les gouvernements les mieux intentionnés succombent sous l’ingratitude de leurs administrés. M. M… n’est plus maire ; Mme M… conserve dans sa retraite cette austère majesté qui n’appartient qu’aux souveraines déchues. Elle n’aime point les femmes et ne s’en cache guère. Républicaine, cela va sans dire, elle fréquentait l’Olympe du faubourg Saint-Honoré et s’y trouvait comme chez elle. Mme Grévy n’avait pas de secret pour Mme M…, et ses conseils étaient fort écoutés. Toutefois elle paraît dégoûtée de la politique et ne parle de l’Elysée qu’avec une extrême réserve.

Guy de Maupassant dans Le Gaulois du 20 août 1180

Martin Vatinel

Le grand-père de Martin Vatinel, qui se prénommait aussi Martin, était couvreur en chaume ; il eut cinq enfants. Parmi eux, Guillaume François, né en 1770, exerça la profession de tourneur sur bois-rouetier jusqu’à sa mort ; c’est le père de notre Martin Vatinel. L’enfant naquit le 10 août 1795 (23 thermidor an III de la République), alors que la Révolution française battait son plein. Il exerça très tôt la profession de charpentier de navire et eut une descendance particulièrement nombreuse (11 enfants, dont 7 garçons). Il fut brièvement maire d’Étretat pendant la guerre de 1870 ; ses opinions progressistes lui valurent l’hostilité de Guy de Maupassant, qui –de façon peu glorieuse- complota pour sa révocation par les autorités préfectorales sous le prétexte fallacieux de complaisance avec l’ennemi prussien.

Le maire et le conseil municipal qui lui avait exprimé son soutien unanime furent effectivement révoqués par les autorités préfectorales en janvier 1871, pour avoir aidé l’ennemi à détruire les lignes télégraphiques étretataises. On doit à Raymond Lindon d’avoir rétabli la vérité sur cette affaire en s’appuyant sur les témoignages de l’époque, qui contredisent la version officielle (Lindon 1963, p. 93-98). En réalité les fils du télégraphe furent coupés dès l’annonce de l’arrivée des Prussiens par les employés de la poste eux-mêmes, qui croyaient sans doute devoir soustraire ces moyens de communication à l’ennemi ; celui-ci paracheva la besogne. Quant au maire, loin de collaborer, il fit évacuer les armes que possédait le village, évitant ainsi leur réquisition. Martin Vatinel fut réélu aux élections de mai 1871.

Mon cher oncle, Je viens porter à ta connaissance un fait qui s’est passé ici aujourd’hui. Un officier prussien est venu se promener dans Etretat en uniforme. La population indignée s’est ameutée. Alors plusieurs propriétaires et moi avons été trouver le Maire et lui avons représenté très poliment que cet officier qui n’avait aucun droit de venir ici devrait partir de suite pour éviter des troubles. Le Maire nous a répondu d’une façon très insolente qu’il avait permis au Prussien de rester jusqu’à deux heures – que les Français étaient des braillards et des lâches et que puisque les Prussiens nous avaient battu nous n’avions rien à dire. Tous les propriétaires étaient indignés. Le Prussien voyant l’attitude de la population a jugé prudent et raisonnable de s’en aller

Lettre de Guy de Maupassant citée par R. Lindon
Portrait à l’huile de Martin Vatinel (coll. privée)

Il faut dire que sa personnalité détonne dans le paysage socio-politique étretatais : depuis le début du Second Empire et l’essor de la station balnéaire, les maires successifs ont tous été des résidents occasionnels, issus de la moyenne ou de la grande bourgeoisie, et ce jusqu’au milieu du XXe s. Jean Baptiste Lenud était un magistrat ; Adolphe Boissaye était le fils d’un riche chef d’entreprise parisien (cf infra) ; Prosper Brindejont était le gendre de Jacques Offenbach ; Charles Alexandre Hubert Chouet, qui fut maire d’Étretat de 1898 à 1904, était le neveu de Pierre Mussot, fondateur de la marque de dentifrice du Docteur Pierre dont il hérita ; Georges Flory était un magistrat parisien, président de cour d’assises ; Henri Sarrazin-Levassor était le fils d’un constructeur automobile ; Raymond Lindon, descendant de la famille Citroën, était avocat général à la Cour de cassation.

Martin Vatinel mourut le 9 janvier 1886, à l’âge de 90 ans, à son domicile rue de l’abbé Cochet. Une rue d’Étretat porte son nom. Cinq de ses enfants furent charpentiers de navire comme leur père ; l’un d’eux, Casimir Bertin (1818-1884) fut maire de Yport de 1882 à sa mort ; une rue de ce village porte son nom ; un autre, Pierre Cyrille (1821-1865) épousa Elise Horlaville en 1843 et se remaria à Southampton en 1864 avec une anglaise, Emélie Stapleton : cette dernière fit don à l’église d’Etretat, en mémoire de son mari, d’un vitrail représentant une Vierge à l’enfant (placé sur le bas-côté nord) (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/01/25/les-vitraux-votifs-de-leglise-notre-dame/). Cette alliance inhabituelle frappa les esprits de l’époque, ce dont témoigne le récit d’un petit bourgeois en villégiature à Étretat :

« Ce Vatinel était un simple pêcheur, superbe gaillard, solide, l’œil ardent, le teint bronzé. Un jour, une Anglaise passe à Etretat.

– Quel est ce beau pêcheur ?

– C’est Vatinel !

– Marié ou célibataire ?

– Célibataire !

– Oah… Je l’épouserais bien… S’il voulait de moi ?

L’Anglaise avait soixante mille francs de rente. Vatinel voulut d’elle. Une fois marié et riche, il fit construire la petite villa, sur la plage, qui aujourd’hui encore est souvent désignée sous son nom par les pêcheurs, dont l’œil s’allume et dont l’ambition se réveille toutes les fois qu’ils voient passer une Anglaise millionnaire » (Lefebvre 2014, p. 43).

Adolphe Boissaye

Adolphe Boissaye est né à Paris le 19 novembre 1838 ; il est mort le 3 août 1910 à Étretat où il se trouvait « en résidence momentanée ». Parmentier (1890, p. 303) le décrivait ainsi : « M. Adolphe-Alfred Boissaye, homme aimable et charmant avec ses administrés, pour lesquels il est plein de dévouement et de sollicitude, est un Parisien dans toute l’acception du mot ». Descendant d’une famille bas-normande enrichie par le jeu des alliances matrimoniales successives (http://gw1.geneanet.org/index.php3?b=fab21&lang=fr;m=N;v=boissaye), Adolphe était le fils d’Adolphe Amand Boissaye, co-fondateur avec Alphonse Pinard du Comptoir d’escompte de Paris (ancêtre de la banque BNP-Paribas) ainsi que du Crédit foncier colonial et négociant en coton. La société de textile avait son siège à Paris, une usine à Saint-Quentin (Aisne) et des succursales à Mulhouse, Remiremont, Rouen et Manchester. Le fils succéda au père en 1862 mais il se retira des affaires, fortune faite, dès 1876. Il choisit alors Étretat comme lieu de résidence secondaire. Il y hérita du Pavillon Doche (achetée par sa belle-mère, Adèle Louge, à la comédienne Eugénie Doche), qu’il rebaptisa en villa Georgette, sans doute en l’honneur de son fils Georges, né à Étretat en 1877. En 1883 il fit construire la villa du Petit-Val, qui fut dotée d’un ascenseur et qu’il relia à la maison précédente par un passage souterrain sous le chemin de Saint-Clair (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/11/09/les-villas-etretataises-et-leurs-noms-un-peu-de-geographie-sociale/). Il fit également construire, à l’angle de la rue Martin-Vatinel et du boulevard René-Coty actuels, un immeuble de location estivale qui devint plus tard l’hôtel des Falaises (Thomas 1985, p. 44). Par ailleurs il avait hérité de son père le château des Délices à Marly (détruit en 1955) et possédait également le château néo-médiéval de Saint-Pierre-des-Horts à Hyères dans le Var (construit par le botaniste Germain de Saint-Pierre).

La rue Adolphe Boissaye au carrefour avec le boulevard du Président Coty ; plus loin sur la gauche, le débouché de la rue Martin Vatinel

Adolphe Boissaye faisait partie des membres fondateurs du golf-club étretatais et du conseil d’administration du Casino. Après être rentré au conseil municipal en 1877, il exerça deux mandats de maire entre 1883 et 1892 et présida la Société de secours mutuels des marins d’Étretat. Sa principale action d’édile fut la modernisation de la voirie et du réseau d’assainissement de la commune, grâce à l’installation de canalisations souterraines pour l’évacuation des eaux usées. Une usine de pompage des eaux fut installée dans le Grand Val afin de pourvoir à l’alimentation en eau potable ; deux fontaines publiques furent installées place de la Mairie et place du Marché ; cette dernière a été rétablie voici quelques années, lors de la réfection de la place. Raymond Lindon estime que Monsieur Boissaye « fut assurément l’un des meilleurs maires d’Etretat » (Lindon 1963, p. 140). Sur l’échiquier politique, Adolphe Boissaye se situait plutôt au centre droit ; appartenant à l’Association nationale républicaine, c’était un proche de Sadi Carnot car son père était un ami d’Hippolyte Carnot, le père du président assassiné en 1894. Il a été candidat républicain aux élections du Conseil général du 1er août 1880, avec le soutien du député Paul Casimir-Périer. Le nom d’Adolphe Boissayea été donné à une rue d’Étretat située derrière le Casino et à la salle communale -particulièrement- hideuse qui est accolée à la villa Les Verguies, rue Notre-Dame.

Prosper Brindejont

Michel Prosper Brindejont naquit à Mexico le 17 novembre 1847 et mourut le 14 octobre 1920 à son domicile parisien, rue des Acacias dans le XVIIe arrondissement. Il fut capitaine de la marine marchande et plus tard inspecteur du service des enfants assistés du département de la Seine. Il se fit construire, route de Fécamp, la villa Fortunio (qu’habita par la suite le peintre Marcel Dejours, décédé en 2010) et succèda à Adolphe Boissaye comme maire d’Étretat de 1892 à 1898. Il était entré dans la grande bourgeoisie par son mariage avec Marie Léocadie Benita Pépita Offenbach, la fille du célèbre compositeur d’opérettes, qu’il épousa dans le IXe arrondissement de Paris en 1882. Le couple, qui hérita de la villa Orphée construite par Jacques Offenbach, eut une fille à Étretat en 1886.

Un premier enfant, prénommé Pierre Manuel Achille Jacques, était né en 1883 à Paris où il épousa en 1911 Adrienne Jeanne Valérie Georgette Yvonne Flory, fille de celui qui fut le deuxième successeur de Prosper Brindejont au fauteuil de maire d’Étretat. L’année suivant cette union, un enfant naquit à la villa Julie, domicile étretatais de Georges Flory qu’il avait hérité de sa belle-mère Outrebon.

Jacques Brindejont, qui était homme de lettres, écrivit une biographie de son grand-père maternel (Brindejont-Offenbach 1940). Prosper Brindejont fut maire d’Étretat de 1892 à 1898. Par la belle-mère d’Offenbach, il était apparenté à Robert Mitchell, un homme politique bonapartiste, qui fut député de la Gironde sous l’étiquette boulangiste. On connaît mal ses propres opinions politiques ; toutefois, lorsqu’il proposa au conseil municipal étretatais de donner le nom de son beau-père à la rue qui borde sa villa, Brindejont se heurta à l’hostilité des élus républicains, pour qui Offenbach incarnait totalement le Second Empire tant honni. Un compromis fut proposé et la voie fut baptisée du nom de la veuve du compositeur, Herminie Offenbach (née Herminie de Alcain), qui jouissait à Étretat de la réputation d’une dame de charité.

Raymond Lindon

Le nom de Lindon est connu du grand public par l’acteur césarisé Vincent Lindon et des amateurs de littérature par Jérôme Lindon, l’ancien patron des Éditions de Minuit ; le premier est le petit-neveu, le second est le fils de Raymond Lindon, qui est surtout présent dans la mémoire des Étretatais et des professionnels de la Justice. Les Lindon appartiennent à ce qu’on a coutume d’appeler une grande famille. L’oncle maternel de Raymond Lindon n’était autre que André Citroën, le fondateur de la marque automobile.

Raymond Lindon est né dans le XVIe arrondissement de Paris, au 2 rue du Bois de Boulogne, le 26 décembre 1901. Il est inscrit à l’état-civil sous le nom de son père, Alfred Lindenbaum, qui était un négociant en pierres précieuses, juif ashkénaze né en Pologne et émigré en Angleterre avant de se fixer en France. C’est en janvier 1916 qu’un jugement du tribunal civil de la Seine autorise son père à substituer le nom de Lindon à celui de Lindenbaum, qui le désigne trop aux attaques germanophobes mais aussi antisémites. Ceci n’empêchera malheureusement pas Raymond Lindon d’être exclu en février 1942, en tant que juif, du barreau de Paris où il était avocat auprès de la Cour d’appel ; il doit se réfugier en Auvergne avec sa famille pour échapper aux persécutions. Il est réintégré à la Libération et nommé substitut du procureur général en janvier 1945, ce qui le place au rang de collègue des magistrats qui l’avaient exclu. Délégué dans les fonctions de commissaire adjoint du gouvernement provisoire, il soutient l’accusation lors des procès de l’épuration, notamment celui des magistrats de la section spéciale de la cour d’appel de Paris et ceux de différents journalistes collaborateurs dont Henri Béraud et Jean Luchert (https://vimeo.com/241834343). Il accède en 1952 au poste d’avocat général, qu’il occupa pendant 21 ans, à la Cour d’appel de Paris puis à la Cour de Cassation (https://annuaire-magistrature.fr/index.php?dossier=fiche&personne=97755#). En 1953 il requiert la peine capitale contre Pauline Dubuisson, la meurtrière qui inspira le film La Vérité de Clouzot (1960) et en 1960 il requiert, à la Haute Cour de justice, dans le second procès intenté à Abel Bonnard, écrivain fasciste et antisémite qui fut ministre de l’Éducation sous Vichy.

Parallèlement à sa carrière d’avocat puis de magistrat, il s’investit dans la vie politique. De tendance radical-socialiste, il échoue aux législatives de 1936 où il se présente sous l’étiquette du Front Populaire mais est élu conseiller général de la Seine-Inférieure en 1937, jusqu’à sa déchéance par le régime de Vichy. De 1929 à 1959 il fut maire d’Étretat, avec l’interruption de la Seconde Guerre Mondiale durant laquelle son premier adjoint, René Tonnetot, fit fonction de maire. On lui doit la conception, en 1945, du blason étretatais, dessiné par Jean Kerhor. Lindon possédait la villa Les Pelouses, que ses parents avaient acheté en 1906 et qui avait appartenu à Henry-François Maillard, l’homme d’affaires qui finança le développement du « Bon Marché » d’Aristide Boucicaut ; c’est cette villa que les troupes d’occupation réquisitionnèrent brièvement en juin 1940, puis de nouveau en février 1942 et dans le parc de laquelle elles firent passer le prolongement de la voie ferrée jusqu’au Cap d’Antifer (Thomas, 2015, p. 167). Aujourd’hui c’est un parking pour les touristes -qui s’est avéré très vite saturé- qui a amputé le vaste parc de la propriété.

La villa les Pelouses, ayant appartenu à Raymond Lindon

Raymond Lindon meurt à Boulogne-Billancourt le 25 janvier 1992. On peut s’étonner qu’aucune rue ni édifice étretatais ne commémore sa mémoire, compte tenu de son rôle dans l’histoire de la commune et de l’importance de ses travaux d’érudition sur Étretat.

Le samedi 9 septembre, vers 19 heures, le bruit se répandit dans Etretat que M. Raymond Lindon allait arriver et, bientôt, de très nombreuses personnes arrivaient sur la place de la Mairie pour accueillir leur maire. Effectivement, un peu avant 20 heures, le dévoué maire d’Etretat faisait son apparition sur la place de la Mairie, où il fut reçu par les acclamations enthousiastes de la foule qui manifestait sa joie de revoir son maire, dont l’émotion était intense. C’est parmi les vivats et des démonstrations d’amitié –tout le monde tenait à lui serrer la main- que M. Lindon arriva à l’entrée de la mairie, devant laquelle les pompiers avec leur drapeau, sous le commandement de leur lieutenant, M. Ch. Enz, faisaient la haie et où il fut reçu par M. René Tonnetot, premier adjoint, qui avait rempli pendant la durée de la guerre les fonctions de maire. Il était entouré de M. Jacques, second adjoint, et des membres du conseil municipal, et de M. Caveng, l’un des chefs des F.F.I. locaux. M. Tonnetot lui souhaita la bienvenue. M. Lindon, réclamé par la foule, dut se mettre à l’une des fenêtres, et les personnes massées sur la place entonnèrent une vibrante Marseillaise, et ce furent ensuite des acclamations sans fin.

La libération d’Étretat racontée dans Havre Matin n°1, 13 septembre 1944

Raymond Lindon concilia son penchant pour l’écriture et sa passion pour Étretat en rédigeant des ouvrages très documentés sur l’histoire locale, en particulier celui de 1963 qui demeure, avec les ouvrages de l’abbé Cochet, une référence en la matière. On lui doit quelques ouvrages plus légers, comme le « Guide du nouveau savoir-vivre » (Guides Albin Michel, 1971) et le « Livre de l’amateur de fromages » (Robert Laffont, 1961) ou encore le petit opuscule en forme de canular sur Arsène Lupin, qu’il signa d’une anagramme d’ »Avocat General » (Valère Catogan).

Raymond Lindon est aussi l’auteur de plusieurs manuels et ouvrages juridiques parmi lesquels : « Histoire de la haute cour de justice en France » (Les Éditions Universelles, 1945), « Le centre de hautes études administratives » (1951), « A quoi tiennent les choses » (Robert Laffont, 1963),  « Quand la justice s’en mêle » (Robert Laffont, 1965), « Le livre du citoyen français » (Flammarion, 1966), « Le style et l’éloquence judiciaires » (Albin Michel, 1968), « Une création prétorienne : Les droits de la personnalité » (Dalloz, 1974), « Justice, un magistrat dépose » (Presses Universitaires de France, 1975), « Le droit du divorce » en collaboration avec Alain Bénabent (Litec, 1984) et « La Haute Cour, 1789-1987 » en collaboration avec Daniel Amson (Presses Universitaires de France, 1987).

Une figure politique oubliée : Jacques de Biez

Il est un peu incongru, à la suite de Raymond Lindon, d’évoquer la personnalité de Jacques de Biez, qui se distingua par son antisémitisme virulent. De son vrai nom Jacques Étienne Amadis Demallendre, il naquit à Étretat le 15 juin 1852. Ses parents s’étaient mariés à Rouen l’année précédente ; le père, Étienne Amadis Demallendre, natif d’Octeville, exerça la médecine à Bosc-le-Hard avant de s’établir à Étretat, où il demeurait 42 rue Notre-Dame (d’après le recensement de 1856).

Jacques fit carrière dans le journalisme, avec une double orientation. En tant que critique d’art, il publia des articles sur le peintre Manet et sur le sculpteur Emmanuel Frémiet, ou encore sur le chanteur italien Tamburini. En tant que pamphlétaire, sa production est nettement moins respectable : il fut un pionnier de cet antisémitisme français qui trouva son point d’orgue avec l’affaire Dreyfus. Co-fondateur de la Ligue antisémitique de France avec Édouard Drumont, il collabora aux journaux La libre parole et La Terre de France. Il eut en commun avec Maupassant la détestation de la tour Eiffel, qu’il décrivait comme une nouvelle Babel, un « perchoir commémoratif de la vanité juive » (en raison des origines de Gustave Eiffel). Il épousa en 1891 Marie Camille Marguerite de Briey -qui était la fille d’un comte- et vécut quelques années dans la Vienne, où son beau-père siégeait au sein du conseil général et où il fut lui-même élu conseiller d’arrondissement, avant de retourner à Paris où il se remaria (brièvement) et où il mourut en 1915. Dans un passage de son Journal daté de 1894, Léon Bloy le décrit comme « un agitateur devenu pacifique depuis qu’il a fait fortune et qui, habitant le Poitou, ne vient jamais à Paris ».

« La France juive » a singulièrement et prestement dessillé les yeux et éclairé des points noirs dans notre esprit. Ce fut comme un phare qui s’allume soudain dans un brouillard de nuit et révèle l’écueil où l’on courait se briser.

Jacques de Biez, La question juive, 1887
Portrait de Jacques de Biez, délégué général de la Ligue antisémitique de France, détail de la planche « Les chefs de l’antisémitisme en Europe » publiée dans une ré-édition de La France juive d’Edouard Drumont

Paul Casimir-Périer, député

Le nom de Casimir-Périer est connu pour avoir été porté par plusieurs hommes politiques de premier plan, issus de la même riche famille dauphinoise. Le père, Casimir Périer, était banquier ; il a été brièvement Président de la Chambre des Députés puis Président du Conseil, entre 1830 et 1831. Un de ses deux fils, Auguste, fut ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Adolphe Thiers et eut lui-même un fils qui devint président de la République française en 1894. L’autre fils, Paul Charles Fortuné, est né à Paris le 18 décembre 1812. Il fut, par décret, autorisé comme son frère à prendre le nom de Casimir-Périer, en hommage au père. Après des études scientifiques, il s’établit en 1832, grâce à l’héritage de son père, comme négociant et armateur au Havre, où il se lança dans la politique en 1877. Il fut élu député de la Seine-Inférieure en juillet 1878, et réélu à deux reprises jusqu’en 1889, sous la bannière de l’Union républicaine. Il obtint ensuite un siège au Sénat, de 1891 à sa mort, survenue à Paris le 8 juin 1897. Politiquement, il se rangeait parmi les républicains conservateurs. Paul Casimir-Périer était aussi photographe amateur, critique d’art et collectionneur. Il est l’auteur de « Propos d’art à l’occasion du salon de 1869 » revue du salon de peinture de 1869, publiée chez Michel Lévy en 1869.
Il possédait à Étretat, sur les premières pentes de la falaise d’Aval, une villa donnant sur la mer, « le Camondet ».
La place de la Mairie fut longtemps dénommée place Paul Casimir-Périer, avant d’être rebaptisée Place Maurice Guillard.

Portrait de Paul Casimir Périer in Le Panthéon de l’Industrie, n°635, 29 mai 1887. Source : Gallica/BNF

Georges Bureau, député

Georges Allyre Marie Médéric Bureau (Paris 1870-Paris 1940) était un avocat, spécialisé dans la défense des gens de théâtre, art pour lequel il nourrit un fort attachement. A l’instar de son grand-père Allyre Bureau qui fut un fouriériste convaincu, il s’intéressa à la politique dans laquelle il se lança sous la bannière des républicains de gauche. Il fut député de Seine-Inférieure, sans interruption de 1910 jusqu’à sa mort, élu dans la 3e circonscription du Havre où il battit Raymond Lindon en 1932. Il fut également conseiller général du canton de Bolbec et présida le conseil général de la Seine-Inférieure après 1932. Parlementaire actif, il participa à de nombreuses commissions, en particulier celles des finances et de la marine marchande. Il occupa d’ailleurs brièvement la fonction de sous-secrétaire d’État à la marine marchande dans le gouvernement Viviani en 1915. Il s’abstint lors du vote accordant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, cinq mois avant sa mort, survenue le 17 décembre 1940. Ses obsèques furent célébrées à Etretat où il possédait la villa Médéric, allée des Tamaris. On a donné son nom à la portion de la rue Adolphe-Boissaye bordant la place Victor Hugo.

Il présida la Société de secours mutuel des marins d’Etretat.

Photographie dédicacée de Georges Bureau

René Coty, président de la République

Jules Gustave René Coty est né au Havre le 20 mars 1882, au domicile de ses parents, 29 rue de Montivilliers ; c’était l’adresse de l’institution Saint-Michel du Havre, dit « pensionnat Coty » dont son grand-père puis son père furent successivement directeurs  (https://francearchives.fr/facomponent/aee371bb3323b8cf78426cad2d2edaa723b2d40e). Les convictions politiques et religieuses de la famille penchaient en faveur d’une république modérée et d’un christianisme social. René fait ses études à Caen, où il s’initie à l’engagement politique en rejoignant une association étudiante. Après sa licence de droit, il s’inscrit au barreau du Havre et se spécialise tout naturellement en droit maritime et commercial mais plaide parfois au pénal, comme en 1910 où, par conviction politique, il assure –sans succès- la défense du syndicaliste Jules Durand, faussement accusé de meurtre. L’affaire a inspiré un demi-siècle plus tard la pièce théâtrale du havrais Armand Salacrou : « Boulevard Durand ».

Il se présente à diverses élections locales à partir de 1907 et est élu successivement comme conseiller d’arrondissement, conseiller municipal puis conseiller général de Seine-Inférieure, mandat qu’il conservera jusqu’en 1942.

Succédant à son mentor Jules Siegfried, important homme politique havrais, il est élu député en 1923 sous la bannière de l’Union démocratique puis sénateur en 1936. Sur l’échiquier politique, on pourrait le situer au centre-droit.

En 1940 il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain (contrairement à Georges Bureau, qui s’abstient) ; cette décision lui vaut quelques ennuis à la Libération mais il est rapidement réhabilité en 1945, ce qui lui permet de se présenter aux législatives d’octobre sous l’étiquette des Républicains indépendants. En 1947 il participe au gouvernement en tant que ministre de la Reconstruction, poste sur lequel il était légitimé par les destructions subies par sa ville natale. L’année suivante il fonde, aux côtés de l’ancien radical Roger Duchet, le Centre national des indépendants et paysans. En 1949, de nouveau sénateur, il devient vice-président du Sénat.

En décembre 1953 a lieu l’élection du deuxième président de la IVe République par les députés et sénateurs réunis en congrès, conformément à la constitution de 1946. Aucun des candidats déclarés ne parvient à obtenir la majorité au bout de dix tours de scrutin et le favori jette l’éponge ; au onzième tour, le nom de René Coty émerge, bien qu’il ne se fût pas déclaré candidat ; il est finalement élu deux tours plus tard, l’avant-veille de Noël, face à son adversaire socialiste. Il ne mènera pas son mandat de sept ans jusqu’à son terme ; en 1958, à la suite du putsch d’Alger, il fait nommer le général de Gaulle président du Conseil. Ce dernier se fait octroyer les pleins pouvoirs et fait voter une nouvelle constitution ; c’est la fin de la IVe République, René Coty démissionne le 8 janvier 1959 (http://www.senat.fr/evenement/archives/D34/intro1.html). Il meurt au Havre près de quatre ans plus tard, le 22 novembre 1962. Dans l’imaginaire collectif, le président Coty est venu cristalliser la nostalgie d’une époque, celle des Trente Glorieuses, de la confiance naïve, des 2 CV et de l’essence à un franc, représentée avec ironie dans les films OSS de Michel Hazanivicius (Le Caire, nid d’espions, 2006 et Rio ne répond plus, 2009).

C’est notre raïs à nous, c’est Monsieur René Coty. Un grand homme, il marquera l’histoire. Il aime les Cochinchinois, les Malgaches, les Marocains, les Sénégalais… c’est donc ton ami. Ce sera ton porte-bonheur (Jean Dujardin dans OSS 117, Le Caire nid d’espions)

René Coty venait épisodiquement à Étretat, où il avait acheté en 1948 la villa La Ramée qui avait appartenu auparavant à un hôtelier, Henry de la Blanchetais (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/11/09/les-villas-etretataises-et-leurs-noms-un-peu-de-geographie-sociale/) ; après son élection, en 1954, le maire, qui était alors Raymond Lindon, lui réserva un accueil solennel avec tous les honneurs.

Le 15 août 1954, le nouveau président de la République et Mme René Coty vinrent faire à leur bonne ville une visite amicale qui demeura inoubliable pour ceux qui l’ont vécue.  Reçu par les élus locaux sur une estrade, au milieu de la place de la Mairie amplement décorée, M. Coty adressa aux Etretatais un discours de trois quarts d’heure qui fut un chef d’œuvre de bonhomie et d’esprit et où il parla avec simplicté de ses petits-enfants, de ses espoirs de voir reconstruire le Casino, etc.. Après avoir reçu les clefs de la ville, il monta avec Mme Coty à la salle d’honneur de la mairie, où il signa le Livre d’or et fit honneur au buffet normand : crevettes et cidre.

Raymond Lindon, 1963
Jardin Germaine Coty et résidence Germaine Coty à l’arrière-plan

Mais c’est surtout son épouse, Germaine Corblet, qu’il épousa en 1907, qui était bien connue des étretatais. Née en 1886, c’était la fille d’un négociant et armateur havrais ; elle reçut une éducation soignée en France puis en Angleterre. Devenue première dame de France, elle subit d’abord les sarcasmes des chansonniers qui, non sans une cruauté teintée d’un certain machisme, l’affublèrent –entre autres qualificatifs peu aimables- du surnom de « Madame Sans Gaine » mais elle acquiert rapidement une grande popularité par son amabilité, sa simplicité et ses actions caritatives. Elle mourut brutalement en 1955, pendant la mandature de son mari qui en fut très affecté. Son nom a été donné à l’ancien jardin public pour enfants d’Étretat, rue Guy de Maupassant, puis à la résidence de personnes âgées qui y fut construite par la suite. Une des rues principales d’Étretat, l’ancien boulevard Charles Lourdel, a été baptisée du nom de son mari, qui détrônait ainsi le chanteur lyrique arrageois.

René et Germaine Coty eurent deux filles ; la cadette, Anne-Marie, épousa un médecin havrais, Maurice Georges, qui fut député de Seine-Maritime sous l’étiquette UDR. Ce dernier est le grand-père maternel de l’écrivain Benoît Duteurtre.

Villa La Ramée, photo R. Flamant

Comme beaucoup de ces bâtisses de la seconde moitié du XIXe siècle, La Ramée s’était limitée d’abord à un simple bâtiment : une maison normande bien carrée avec ses rangées alternées de briques et de silex. Mais le charme de l’architecture balnéaire tient dans les ajouts des propriétaires successifs, qui élargissent le corps principal en construisant des ailes, des extensions, puis en les ornant de corniches ou de tourelles. Accolant un flanc gauche au bâtiment, de précédents occupants avaient aménagé un vaste salon de réception, surplombé par une chambre et une terrasse. Germaine et René Coty s’y étaient installés. Sur le flanc droit et dans les hauteurs, un empilement de chambres de bonnes et de chambres d’enfants avaient poussé jusqu’aux mansardes. Mais la plus jolie partie de l’ensemble était ce perron de bois exotique, dont les volutes et guirlandes avaient quelque chose de chinois, revu par la IIIe République.

Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau, 2008.
Le président Coty sept mois avant sa mort, avec son arrière-petit-fils Benoît Duteurtre et sa petite-fille Marie-Claire, in Luc Pinson : Benoît Duteurtre, Études normandes, n°54/1, 2005 (https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_2005_num_54_1_1578) ; « une photo nous représente assis l’un près de l’autre, pour mon deuxième anniversaire : le Président devant sa pièce montée de quatre-vingt bougies ; moi soufflant les deux premières, sous l’œil attendri de ma mère, qui ressemble à une jeune femme heureuse au cœur d’un monde préservé » (Benoît Duteurtre, op. cit.)

J’aimais ce confortable intérieur où l’on était servi à table, sous les faisans de Foujita (offert par le peintre à René Coty pour le remercier d’un « envoi de gibier », livré par des motards après une chasse présidentielle). Aîné de cinq frères et sœurs, j’avais parfois l’impression de grandir dans un socialisme rigoureux où le plus âgé avait les mêmes droits que les derniers et ou toute dépense de plaisir s’apparentait au gaspillage …

Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau, 2008

Pour être tout-à-fait complet, on citera encore, dans la liste des hommes politiques habitués de la commune, le nom de Maurice Desson de Saint-Aignan, un propriétaire terrien né à Rouen et qui fut député de Seine-Maritime (siégeant à droite) sous la Troisième République ; son nom figure dans la liste du recensement étretatais de 1906.

Politique locale vs. politique nationale

La politique nationale a pu s’introduire à Étretat et y susciter des débats parfois vifs à différentes reprises, comme dans les années d’avant la Première Guerre Mondiale, lorsque républicains et cléricaux s’affrontaient par le truchement de leurs fanfares respectives. L’anticléricalisme ne se traduisit cependant que rarement par des actions violentes. L’affaire Dreyfus suscita une bagarre à Étretat en 1898, mais elle ne concerna que la population parisienne ; de même, le placardage d’affiches anarchistes en 1907 fut le fait d’étudiants étrangers à la commune. Le vrai clivage politique fut assez tôt entre la population permanente et les estivants, entre les « Parisiens » et les « Étretatais ». En 1883, le Journal de Rouen rapporte qu’à la suite des dernières élections municipales complémentaires, une scission est intervenue au sein du conseil municipal, uni jusqu’ici ; le maire Ono dit Biot et onze conseillers municipaux, tous habitants d’Étretat, ont démissionné collectivement, ce qui révèlerait « un antagonisme entre les gens du pays et les étrangers » (Journal de Rouen du 20 novembre 1883). M. Ono-dit-Biot fut réélu en janvier 1884 mais, à l’issue du scrutin du 4 mai suivant, il dut laisser son siège de maire à son adversaire, Adolphe Boissaye. Le même clivage perdura (et s’accentua) au cours du siècle suivant et la composition des listes municipales en témoigne.
Les changements de forme du tourisme, l’abandon progressif de l’occupation estivale récurrente des villas par leurs propriétaires et le poids économique grandissant du secteur de l’hôtellerie ont largement changé la donne à la fin du XXe siècle.

Une nouvelle forme du débat politique

Ces dernières années, les préoccupations des habitants de la planète, marquées par les questions des changements climatiques (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/03/29/le-climat-etretatais/), de la mobilité accrue des biens et des personnes au niveau global, de la pollution et de la gestion des ressources naturelles se sont traduites par des mouvements d’opinion qui n’ont pas épargné Étretat. Le développement rapide d’un tourisme peu contrôlé, avec les nuisances diverses que la sur-fréquentation peut engendrer (pollution, érosion de l’estran et des sols, difficultés de circulation, sécurité des personnes), a cristallisé un certain nombre de ces problèmes au point d’engendrer, fait unique dans les annales étretataises, une pétition, lancée le 23 février 2021 (https://www.mesopinions.com/petition/social/etretat-habitants-seuls-demunis-face-tourisme/128350) et qui avait déjà recueilli près de 15.000 signatures au bout d’une dizaine de jours (https://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-76600/en-normandie-trop-de-touristes-a-etretat-les-habitants-montent-au-creneau-7175178). Signe que le débat citoyen est possible, même dans une petite commune comme Étretat.

3 commentaires sur “La politique à Étretat”

  1. Bonjour,

    Je me permets d’apporter quelques précisions à votre intéressant article consacré à la politique à Étretat. En effet, ce ne sont pas deux femmes qui ont été élues aux fonctions de première magistrat de la commune mais bien trois : Mesdames Françoise Lieury, Monique Chevessier-Xibeiras et Catherine Millet (2016-2020). Monsieur Franck Cottard ayant, pour sa part, été maire de 2008 à 2016 (et non 2020 comme indiqué dans votre tableau).
    Quant au choix d’intégrer la Communauté Urbaine du Havre Seine-Métropole, il a été dicté bien plus par des considérations de logique territoriale – et d’accords politiques discrets entre Fécamp et Le Havre – que de clivage gauche / droite local, d’autant que la Droite avait repris la Mairie et la Communauté d’Agglomération de Fécamp dès les élections municipales de 2014…

  2. Un petit oubli dans la liste des maires…en effet, j’ai été élue maire de décembre 2016 à juillet 2020 !
    Cordialement.
    Catherine Millet

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