Le patrimoine enfoui d’Étretat

Si le projet conçu par Lamblardie et décrété par Napoléon était jamais mis à exécution, Étretat présenterait l’aspect d’un nouvel Herculanum

Abbé Cochet, 1869

Étretat n’est pas réputé pour ses sites archéologiques ; ici, pas de dolmen néolithique à montrer aux visiteurs comme aux Ventes ou à Dampsmesnil, pas d’oppidum gaulois comme à Fécamp ou à Dieppe, pas de théâtre romain comme à Lillebonne, pas de château médiéval comme à Fécamp ou à Moulineaux. Le monument étretatais le plus vieux est l’église Notre-Dame, romane pour sa partie la plus ancienne.

Nef de l’église Notre-Dame d’Étretat

Pourtant il y eut à Étretat un aqueduc, une villa romaine, une chapelle alto-médiévale, une maladrerie et des sépultures antiques et mérovingiennes et tous ces vestiges, enfouis dans le sol, furent explorés par un archéologue fameux et amoureux de ce lieu : l’abbé Cochet.

Force est de constater que depuis l’abbé Cochet, Étretat n’a curieusement retenu l’attention d’aucun archéologue et que le village est passé sous les radars de l’archéologie préventive. Un seul sondage archéologique a été réalisé dans cette commune durant les trente dernières années (en 1998) et il fut négatif (Service Régional de l’Archéologie de Haute Normandie 1998, p. 55).

Extrait de la carte archéologique du département publiée par l’abbé Cochet dans « La Seine-Inférieure historique et archéologique » ; en vert l’époque gauloise, en rouge l’époque romaine et en bleu l’époque franque ; C=cimetière, S=sépulture isolée, St=station, M=médaille (monnaie), Mos=mosaïque, V=villa, H et h=hachettes en silex ou en bronze, R=retranchements, D=débris

Plusieurs pièces de monnaie d’or anciennes ont été trouvées récemment sur le bord de la mer, à Etretat , dans une crevasse de la falaise. M. le maire d’Etretat s’est empressé d’en adresser deux a M. Ie préfet du département. L’une de ces pièces, beaucoup plus grande que l’autre , est un Edouard III. L’autre est un florin frappé en France sous Charles V.
En général, il existe dans le département une grande émulation pour la recherche de nos antiquités et la conservation de tout ce qui peut contribuer a éclaircir différens points obscurs de l’ histoire de notre province.

Journal de Rouen, mardi 26 décembre 1826

Un archéologue (presque) étretatais : l’abbé Cochet

Le picard Jacques Boucher de Perthes (1786-1868) est internationalement connu en raison de ses recherches pionnières dans la vallée de la Somme, qui lui valurent d’être considéré comme le fondateur de la Préhistoire en France. En revanche l’abbé Jean Benoît Désiré Cochet a été un peu oublié sur le plan national ; c’est pourtant un autre des pionniers de l’archéologie, qui est regardé par beaucoup comme le fondateur de l’archéologie mérovingienne. Et il fut aussi un Étretatais, au moins de cœur, qui resta attaché sa vie durant à un village « dont (il s’est) peut-être grossi le mérite et grandi l’importance » (Cochet 1896, p 7).

Acte de naissance de l’abbé Cochet (Archives départementales de la Seine-Maritime)

Né à Sanvic, en banlieue havraise, le 7 mars 1812, il passa son enfance à Étretat où son père, un soldat de Napoléon natif de la Bresse, avait été nommé canonnier garde-côte. Le port était en effet, à cette époque, défendu par trois batteries. A l’adolescence, le futur abbé part poursuivre des études au Havre, puis à Rouen où il entre au séminaire. Dès cette époque, il devient membre de la Commission des Antiquités départementales et commence ses premières fouilles. Ordonné en 1836, l’abbé est successivement vicaire au Havre et à Dieppe ; après un passage au collège de Rouen en tant qu’aumônier, il retourne à Dieppe où la cure de Saint-Jacques lui est confiée ; il y restera 29 ans, jusqu’à son décès en 1875.

Portrait de l’abbé Cochet gravé par Georges-Henri Manesse

Parallèlement à sa carrière ecclésiastique il se consacre dès sa jeunesse à sa passion : l’archéologie, à laquelle il est confronté à Étretat une première fois, lorsque, enfant, il déterre des ossements humains dans le jardin familial (Cochet 1869, p. 39-40) ; il éprouve à nouveau la fascination de l’archéologie en 1830, à l’occasion des travaux de construction d’un presbytère qui mettent à jour d’antiques vestiges. À cette époque, la discipline -qui est encore balbutiante- n’est pratiquée que par quelques érudits issus de catégories socio-professionnelles intellectuelles et plutôt aisées : ecclésiastiques, enseignants, médecins ou fonctionnaires de haut-grade (comme Boucher de Perthes, inspecteur des douanes) voire aristocrates, comme Arcisse de Caumont ou encore, en des temps plus reculés, Robert Leprévôt, seigneur de Cocherel, un précurseur qui réalisa dès 1685, à Houlbec-Cocherel dans l’Eure, les premières fouilles « préhistoriques » méthodiques en France (Laming-Emperaire 1964, p. 92-94). On appelle alors ces chercheurs des « antiquaires » ; les termes d’archéologue et d’archéologie ne s’imposeront que plus tardivement et leur restriction aux recherches menées dans le sous-sol sera encore plus récente. En 1849 la renommée de chercheur de l’abbé Cochet lui vaut d’être nommé inspecteur des monuments historiques pour le département de la Seine-Inférieure. Par la suite il est placé à la tête du musée départemental des antiquités de Rouen.

Les deux figures emblématiques des débuts de l’archéologie française, l’abbé Cochet et Jacques Boucher de Perthes, se croisèrent à plusieurs occasions. En 1860 l’abbé Cochet fut envoyé dans la Somme pour vérifier les assertions de l’archéologue picard quant à l’ancienneté de l’Homme ; il déterra lui-même quelques « hachettes » en silex dans les sédiments fluviatiles à Saint-Acheul et confirma les conclusions de son collègue sur la datation « antédiluvienne » (antérieure au Déluge biblique) des vestiges d’occupation humaine (Cochet 1860, Verron 1990, p. 42). Les deux savants échangèrent une correspondance ponctuelle.

Si l’activité archéologique de l’abbé Cochet s’étendit bien au-delà de son village bien-aimé, celui-ci fit l’objet d’une attention toute particulière de sa part et la plupart des sites étretatais que nous allons passer en revue -par ordre chronologique- ont été mis au jour ou tout au moins signalés par notre abbé.

L’abbé Cochet représenté sur un vitrail de l’église Notre-Dame (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/01/25/les-vitraux-votifs-de-leglise-notre-dame/)

Le Paléolithique et le Mésolithique : des périodes mal représentées

Aucun gisement du Pléistocène (période antérieure à la période tempérée actuelle, appelée Holocène) n’est répertorié sur le territoire de la commune. Des dents de mammouth ont été trouvées anciennement dans les fonds marins au large de Cauville et à trois milles nautiques au large de Saint-Jouin, ce qui ne doit pas surprendre ; en effet, durant les périodes froides du Pléistocène le niveau de la mer baissait jusqu’à plusieurs dizaines de mètres, en raison de la mobilisation des eaux sous forme de glaces (l’inverse du phénomène actuel), découvrant à l’emplacement de la Manche de vastes espaces occupés par une steppe froide et parcourus par des troupeaux de grands herbivores –et par les hommes préhistoriques.

Si des occupations paléolithiques avaient existé sur le territoire étretatais, elles auraient probablement disparu du fait de l’intensité des phénomènes d’érosion, accentués dans la vallée d’Étretat par des pentes importantes sur les versants et par la proximité du niveau de base. Les gisements préhistoriques les plus proches (Goderville, Gonneville, Saint-Léonard) ont été découverts sur le plateau, enfouis dans des sédiments d’origine éolienne qui ont été exploités par des briqueteries au XXe s., permettant ainsi leur mise au jour ; les silex taillés découverts peuvent être datés grossièrement du Paléolithique moyen récent (100.000 à 40.000 avant notre ère) (Bordes 1954 et 1963, Lautridou et al. 1974, Vallin 1977).

Gonneville-la-Mallet : coupe dans l’ancienne briqueterie située Chemin des écoliers; 1: limon à doublets, 2: limon argileux orange clair, 3: limon argileux rougeâtre à marbrures claires (d’après Vallin 1977, modifié)
Gonneville, briqueterie Mésaize, éclat cortical allongé, épais (10,5 x 5,3 x 2,8 cm), muséum de Rouen (Vallin 1977)
Saint-Léonard, coupes ouvertes en 1977 dans la briqueterie de la Croix-Bigot (d’après Vallin 1977, modifié)

En dehors de ces séries recueillies en stratigraphie, des découvertes paléolithiques isolées ont été signalées à Villainville (lieudit Mare Safa), dans les éboulements de la falaise à Heuqueville et à Criquetot-l’Esneval (lieudits Muchelinchien et le Percoq) (Dubus 1920, Verron 1973). Quant au Paléolithique supérieur, les sites connus les plus proches : Fécamp, Vattetot-sous-Beaumont et Angerville-Bailleul, sont distants de 15 à 20 kilomètres (Verron 1977, p. 402-407).

Le Néolithique

L’abbé Cochet a émis l’hypothèse que la pierre exhumée en 1820 au lieudit la Torniole à Pierrefiques pouvait appartenir à un monument mégalithique démantelé ; il souligne d’ailleurs l’étymologie attribuée au nom de la commune (Petra fixa ou pierre fichée). La dalle de Pierrefiques aurait servi de piédestal au calvaire d’Étretat (Michel, 1857, Lindon, 1963), édifié la même année au bas du chemin de Saint-Clair ; depuis, ce calvaire a été transporté à son emplacement actuel, près de la chapelle Notre-Dame de la Garde mais la fameuse dalle a disparu.

Des sites d’occupation néolithiques, repérés par des concentrations d’artefacts lithiques remontés dans les champs par la charrue lors des labours, sont connus depuis longtemps sur le territoire d’Yport et Saint-Léonard -où une variété de silex particulière, de couleur blonde, a été utilisée par les tailleurs néolithiques- et à Criquetot (Verron 1973, p. 390), ainsi qu’à Bordeaux-Saint-Clair et aux Loges (Verron 1975, p. 498). Plus récemment un diagnostic d’archéologie préventive réalisé sur l’emprise d’un lotissement à Criquetot a livré une fosse datée du Néolithique final par son mobilier (Beurion 2018, p. 221). A Étretat, ne sont connues que quelques rares découvertes isolées, essentiellement des haches polies –plus aisément reconnaissables par un œil non averti .

Immeuble des Bosquets construit au pied du versant des Haules ; on aperçoit sur la droite le château de Grandval
Industrie lithique mise au jour lors de la construction de l’immeuble « les Bosquets » ; 1 : nucléus cortical (?), 2 : éclat ordinaire chauffé, 3 : éclat ordinaire, 4 : silex chauffé, 5 : flanc de nucléus laminaire (d’après Vallin 1977)

Cependant la construction de l’immeuble les Bosquets, au pied du versant exposé au nord-est de la vallée d’Étretat, a mis au jour fortuitement un discret témoin d’occupation probablement néolithique, sans qu’on puisse préciser la datation. Quelques silex taillés disséminés, dont certains affectés par le feu, ont été découverts à environ 0,90 m de profondeur, dans un limon grisâtre, blanchi à la base, parcouru de lits épigénétiques (correspondant probablement à un podzol développé sur des colluvions) ; une petite lentille charbonneuse avec des silex brûlés a été repérée en coupe au sommet de cette couche, sous un limon jaune-orangé lité. Le mobilier recueilli dans les coupes des fondations et les déblais du terrassement comprenait des éclats et un flanc de nucléus (Vallin 1977, p. 98-99 et 143-144). Dans une position stratigraphique analogue, une petite structure de combustion a été fouillée dans le vallon d’Antifer ; elle était associée à quelques artefacts lithiques (éclats laminaires, lamelles, nucléus prismatique à lamelles, grattoirs et retouchoir) et à un unique tesson de céramique non tournée, à dégraissant grossier, dont la pâte évoque le Néolithique récent ou final, voire l’âge du Bronze (ibid., p. 144-145).

Plan du foyer découvert dans la valleuse d’Antifer au Tilleul et coupe stratigraphique, d’après Vallin 1977
Silex taillés issus de prospections de surface ; 1 : Le Tilleul, lieudit l’Hermitage, 2 : Étretat, le Grand Val, 3 : Vattetot-sur-mer, le Fonds d’Étigue

L’âge du Bronze

L’âge du Bronze (1800 à 700 av. J.-C. environ) est surtout représenté, dans le Pays de Caux, par des armes et outils en bronze, découverts dans le sol isolés ou en groupes ; on parle dans ce dernier cas de « dépôts », comme au Tilleul, dans le vallon d’Antifer, où l’abbé Cochet signale un dépôt de 18 haches trouvées en 1842 (Cochet 1864, p. 13-14 et 188-189), ou à Heuqueville, près de Saint-Jouin, où un ensemble de 42 haches dites « à talon », datées de l’Âge du Bronze moyen, ont été trouvées en avril 1906, à 40 cm de profondeur (Verron 1971, p.61-63).

Hache en bronze du Tilleul, in « La Seine-Inférieure historique et archéologique » ; elle appartient au type dit « hache à talon », caractéristique de l’âge du Bronze moyen (environ 1600 à 1300 av. J;-C.)

Le musée des Beaux-Arts de Lille conserve, sous le n° d’inventaire 2655 du fonds des Antiques, une hache en bronze trouvée à Étretat et qui provient du fonds du muséum d’histoire naturelle de Lille. Ses dimensions sont les suivantes : L=45 mm, l=80 mm, e=20 mm. Cet objet archéologique est sans doute parvenu à Lille à la suite d’un échange ou d’un de don de chercheur (peut-être l’abbé Cochet lui-même), comme cela se pratiquait fréquemment au XIXe s. entre savants.

L’âge du Fer

Bien que cette période soit représentée, dans le Pays de Caux comme ailleurs, par de nombreuses occupations rurales révélées ces dernières années par l’archéologie préventive (comme à Criquetot, Breton 2018), aucun vestige mobilier n’est rapporté à cette période sur le territoire communal. Le Fossé de Bénouville, un talus rectiligne de faible élévation marquant la limite des territoires respectifs de Bénouville et d’Étretat, entre le Petit Val (au niveau de la Vévigne) et la falaise littorale, a pu être attribué à cette période mais ceci reste très hypothétique.

L’Antiquité romaine

Une voie romaine vers Lillebonne ?

La position géographique d’Étretat à l’embouchure d’une vallée remontant dans l’intérieur des terres en direction de Lillebonne (l’antique Juliobona) poussa quelques historiens à supposer qu’une voie romaine y aboutissait, passant par le chemin de Saint-Clair. Cette hypothèse paraissait confortée par l’examen des documents médiévaux et des cartes postérieures, ainsi que par la toponymie (Cochet 1864, p. 58-62). Toutefois aucune preuve archéologique convaincante n’est venue attester son existence sur le territoire de la commune, si ce n’est le pavage découvert à deux mètres de profondeur lors du creusement d’un puits rue de Mer en 1835, chez l’épicier Paumelle (rue de l’abbé Cochet actuelle) mais rien n’indique la date de cette voirie.

Carte du département à l’époque romaine, extraite de « La Seine-Inférieure historique et archéologique », 1864

La « villa » romaine d’Étretat

Des découvertes isolées sur le front de mer sont signalées par l’abbé Cochet, telles ces monnaies impériales en bronze découvertes fortuitement en 1823 lors du creusement de l’écluse au débouché du canal ou les céramiques, monnaies et objets métalliques extraits du fond du puits de l’hôtel Blanquet en 1835. Les traces de fondations signalées par quelques témoignages anciens sous la plage actuelle pourraient être attribuées pour partie, d’après l’abbé Cochet, à l’époque romaine mais cette hypothèse est très incertaine.

D’autres vestiges présumés antiques ont été mis au jour sporadiquement dans le cimetière communal, ainsi que rue Dorus et dans le jardin des Verguies.

En revanche la datation du site découvert au pied de la côte du Mont en 1830, lors de la construction du presbytère, est plus assurée. Ce n’est qu’en 1835 que l’abbé Cochet put y commencer des fouilles, grâce à une subvention de l’État ; il les achève en 1842. Il mit ainsi au jour les fondations maçonnées d’un bâtiment d’habitation comprenant au moins deux salles. Un pavement et des fragments d’enduits peints indiquaient la fonction domestique de la construction et le statut relativement aisé de ses occupants ; un bain aux murs dallés, alimenté en eau par un tuyau de plomb, occupait une partie d’une des salles. Le mobilier recueilli comprenait des fragments de verrerie, des épingles en os et des monnaies de Vespasien, Trajan et Hadrien, orientant vers une datation aux Ier et IIe siècles.

Plan manuscrit des fouilles de 1835 à l’emplacement de l’ancien presbytère, archives de la commission départementale des Antiquités, Archives départementales de la Seine-Maritime, cote 006Fi ; vestiges modernes en bleu, romains en rouge et médiévaux (chapelle Saint-Valéry) en noir

Le presbytère fut abandonné dès 1855 au profit d’une nouvelle construction accolée à l’église Notre-Dame et le terrain fut cédé à un particulier. Vers la fin des années 1960, un pavillon neuf fut édifié sur le site par Mr Valentin et des vestiges gallo-romains furent de nouveau mis au jour, malheureusement aucune fouille ne fut entreprise et le site est désormais entièrement détruit. Seuls quelques rares vestiges (coquille d’huître, tessons) furent recueillis par Joseph Vatinel. Le pauvre abbé Cochet, qui fulminait en 1857 contre l’abandon du site par le maire et le curé, a dû se retourner dans sa tombe.

Le site du presbytère n’était pas isolé puisque d’autres constructions gallo-romaines ont été mises au jour aux portes d’Etretat, à Bordeaux-Saint-Clair, où l’Abbé Cochet a  fouillé en 1842 un bâtiment avec hypocauste du Haut-Empire au lieudit Château-Gaillard, en surplomb du Grand Val, et la pars rustica d’une villa du Ier-IIe s. sur le sommet du versant méridional du Petit Val, l’année suivante.

L’aqueduc romain

Les bains du site du presbytère étaient alimentés en eau, selon l’abbé Cochet, par l’aqueduc romain venant de Bordeaux-Saint-Clair par le Petit-Val et dont des tronçons ont été reconnus en plusieurs endroits sur un tracé excédant trois kilomètres : sur le versant situé sous la Côte du Mont (où il fut détruit entre 1825 et 1851 par les cultivateurs dont il traversait les terres) et rue de Fécamp (sur les terrains occupés par Auguste Gilles, facteur). L’abbé Cochet put le fouiller partiellement en 1851 et 1852 et en faire une description assez précise. Il était construit à l’aide de galets ; le fond et les parois du canal, mesurant 30 cm de large et 25 cm de profondeur environ, étaient enduits d’un mortier rouge. Il était recouvert de grosses pierres ou de dalles calcaires.

Coupe de l’aqueduc fouillé par l’abbé Cochet

Des sépultures à incinérations dans le Grand-Val

Si le secteur septentrional de la vallée d’Étretat semble le plus densément occupé, le versant méridional n’est pas exempt de vestiges archéologiques, en particulier dans le domaine funéraire.

Mobilier funéraire de la nécropole du Bois des Haules, fouillée par l’abbé Cochet (Cochet 1864)

Le bois des Haules, qui s’étend de la rue Jean-Baptiste Cochin jusqu’au chemin de la Guezane sur le territoire du Tilleul, a été exploré par l’abbé Cochet à la suite des découvertes « de 5 ou 6 sépultures et de 30 vases » par Romain Hauville entre 1850 et 1853, dans une petite argilière qu’il exploitait en bas de versant, « sur le flanc d’une cavée ». Une équipe de terrassiers embauchée par l’abbé Cochet pour y mener une fouille complémentaire a mis au jour en une seule journée -le 22 août 1855- quatre sépultures à incinérations gallo-romaines supplémentaires, renfermant 17 à 18 vases ; à l’aune des techniques de fouille actuelles, un tel rendement est de mauvais augure mais l’archéologie était encore largement dans sa phase de construction méthodologique. Le mobilier recueilli indique qu’il s’agissait probablement d’une petite nécropole familiale rattachée à une modeste installation.

Sépultures Céramique Verre Métal
sép. 11 urne en céramique commune grise avec os brûlés
1 assiette en céramique sigillée
1 petit vase en terra nigra
1 vase en céramique commune grise
1 fiole en verre hexagonale à anse (clous ?)
sép. 21 pot globuleux en céramique grise avec os brûlés
1 trépied « en terre cendrée » ( ?)
1 petit vase en terra nigra
1 assiette en céramique sigillée
1 cruche en céramique rouge
1 vase à libations (clous ?)
sép. 31 urne en terra nigra avec os brûlés
1 assiette en terra nigra
1 petite cruche en céramique commune grise
1 petit pot en céramique commune grise
(clous ?)
sép. 41 urne en céramique commune grise avec os brûlés
1 petit pot en céramique commune grise
(clous ?)

Inventaire des sépultures gallo-romaines fouillées par l’abbé Cochet au Bois des Haules en 1855 (d’après Cochet 1869)

Non loin des Haules mais au pied du versant opposé, une urne en verre contenant des ossements brûlés a été découverte vers 1800 par un cultivateur près de sa ferme au lieudit la chapelle de Saint-Nicolas.

Au-delà des limites communales, la vallée d’Étretat a livré d’autres sépultures, qu’elles soient d’époque gallo-romaine comme au Tilleul (près du lieudit la Haie au Curé, à 200 m de la ferme du Vauchel et dans le bois de la Garenne, à 300 mètres de la nécropole des Haules) ou alto-médiévale comme à Villainville (au lieudit le Vauchel), à Pierrefiques (au lieudit la Torniole) et à Bordeaux-Saint-Clair sur le plateau, au lieudit Épivent (Cochet, passim).

Nécropole à incinérations gallo-romaine du Bois des Loges près du Mont Rôty, fouillée par l’abbé Cochet en février 1851 (in La Normandie souterraine, 1855)

Toutes ces découvertes ont été faites au XIXe siècle. Au siècle suivant la seule découverte signalée est celle d’une céramique sigillée de forme Drag. 45, ramenée dans les filets d’un pêcheur au large d’Étretat (Rogeret 1998, p. 242).

Le Moyen-Âge

Les plus anciennes chartes et cartulaires, cités par l’abbé Cochet (1869, p. 61-69) puis par R. Lindon (1963, p. 9-10) montrent que l’agglomération d’Étretat remonte au moins au XIe-XIIe siècle. De là à disserter sur l’aspect et l’importance du village au Moyen-Âge, il y a un pas qu’il vaut mieux éviter de franchir. Certaines affirmations, qu’on peut lire çà et là, sont particulièrement audacieuses et ne reposent sur aucune donnée archéologique.

« Dès 1427, Etretat est le siège d’un des sept tabellionnages de la Vicomté de Montivilliers et de belles maisons s’y construisent pour abriter les Seigneurs et les Maîtres de Franches Nefs privilégiées, appartenant aux Abbés de Fécamp et de Saint-Wandrille. »

(Guide officiel de la ville d’Etretat éditée par le Syndicat d’initiative, 1968)

L’archéologie offre pourtant des témoignages d’occupation médiévale plus ancienne, qui comble en partie le hiatus chronologique entre les installations gallo-romaines des Ier-IIe s. et le village d’Estrutat. Il n’y a pas d’évidence archéologique d’une continuité d’occupation entre le site gallo-romain du Presbytère, dont le mobilier décrit le plus récent ne dépasse pas le IIe s. ap. J.-C. et l’occupation mérovingienne, reconnue au même endroit et datée au plus tôt du VIe s., mais celle-ci montre la récupération par les nouveaux occupants d’éléments architecturaux antiques tels que tuiles à rebords et pierres de taille.

Une nécropole mérovingienne

Le site mérovingien est exclusivement de nature funéraire mais il est vrai que seules les sépultures de cette période étaient identifiables à l’époque de l’abbé Cochet ; l’habitat rural du haut Moyen-Âge, plus fugace que les constructions maçonnées antiques, n’est connu par l’archéologie que depuis quelques décennies seulement.

Quoiqu’il en soit, si l’on en croit l’abbé Cochet, tout le versant situé près de la falaise d’Amont, et appelé la Côte du Mont, était occupé par des sépultures « franques » (mérovingiennes) ; il donne pour limites de la nécropole la rue du Presbytère et la batterie de droite à l’ouest, le chemin de Bénouville au sud, la falaise au nord et « les terrains défrichés par M. le comte d’Escherny » à l’est, en s’appuyant sur les découvertes fortuites réalisées dans la première moitié du XIXe s. lors de diverses constructions.

Le parc des Roches, à l’emplacement présumé de la nécropole mérovingienne

L’abbé Cochet fouille lui-même sur le site du Presbytère en 1835 et 1842 une quinzaine de ces sépultures –dont une tombe d’enfant dans un sarcophage monolithique- qui recoupaient l’occupation gallo-romaine et se trouvaient à faible profondeur (0,66 m). Par la suite le comte d’Escherny, qui fit construire la villa des Roches (aujourd’hui détruite) mit au jour en 1850-1851 plusieurs sépultures dotées d’un mobilier abondant.

Le mode d’inhumation, le mobilier d’accompagnement des défunts et sa répartition dans la tombe sont assez stéréotypés à l’époque mérovingienne ; la nécropole d’Étretat n’échappe pas à la règle. Les défunts y avaient été allongés en décubitus dorsal, les bras le long du corps, orientés tête au nord-ouest. Ils étaient accompagnés de vases en céramique déposés au niveau des membres inférieurs, parfois d’armes (scramasaxes) et d’éléments de parure (épingle en os, fibules, plaque-boucles damasquinées). Dans quelques cas, le crâne était déconnecté du reste du squelette, ce que l’abbé Cochet explique par une décollation ou une inhumation en position assise (cette dernière explication paraît peu plausible) ; on pourrait également envisager le pillage ultérieur des tombes, comme cela est fréquent sur les nécropoles mérovingiennes, à cause de la présence de mobilier précieux. En l’absence de dessin des tombes, il est impossible de vérifier ces hypothèses. Quoiqu’il en soit, un des crânes exhumés présentait une entaille profonde sur le frontal, résultat probable d’un coup porté par un instrument tranchant.

Fibules et céramiques de la nécropole mérovingienne d’Étretat (Cochet 1864)

Parmi la céramique, l’abbé Cochet figure des gobelets biconiques, cannelés dans leur partie supérieure ; il décrit également un « vase à ornements gravés ». Ces éléments sont malheureusement insuffisants pour proposer une datation précise de cette nécropole mérovingienne, d’autant que les inhumations peuvent s’étaler sur plusieurs siècles. Le mobilier funéraire est banal pour cette période et ne révèle pas de tombe présentant un statut social privilégié.

Une chapelle carolingienne

C’est toujours dans le même secteur, celui du presbytère, qui semble bien être le premier noyau de peuplement étretatais, que se trouvait la chapelle Saint-Valéry, qui existait encore dans la jeunesse de l’abbé Cochet, bien qu’en partie ruinée et transformée en grange dès le XVIIIe s. avant d’être presque entièrement détruite, en 1822. Construite avec des matériaux de récupération du site gallo-romain, on n’en connaît plus que deux chapiteaux dessinés par l’abbé Cochet, qui « couronnaient deux colonnes de pierre noyés dans une maçonnerie en silex » (Cochet 1846, p. 273) et qui ont été attribués au moins au Xe s. Les murs étaient construits de « pierre tuffeuse » (craie probablement) en petit appareil et de tuiles à rebords, ce qui est cohérent avec une attribution à l’époque carolingienne.

Éléments sculptés de la chapelle Saint Valéry (Cochet 1864)

Des pierres tombales voyageuses

Une dalle funéraire en calcaire a été découverte vers 1867 dans le cimetière paroissial ; l’abbé Cochet la décrit comme  gravée en relief d’une « large croix pattée, dont le pied se trouve vers la moitié de sa longueur, orné de deux sortes de bras rudimentaires » (abbé Cochet, séance du 10 novembre 1869 in Bulletin de la commission des antiquités de la Seine-Inférieure, t.1, 1868, p. 385-386) ; Quicherat la datait du IXe s. et Guéroult y voyait une tombe d’abbé. Elle a été donnée au musée départemental des antiquités et ne doit pas être confondue avec la pierre qui se trouve actuellement sous le calvaire qui se dresse sur la place de l’église ; d’après l’abbé Decaux, cité par Raymond Lindon (op. cit., 1963), cette dernière serait une dalle carolingienne transportée depuis la nécropole fouillée sur le site du Presbytère.

Dalle étudiée en 1869 par la Commission départementale des Antiquités, Archives départementales de la Seine-Maritime, cote 006Fi
Dalle funéraire présumée carolingienne, servant de piédestal au calvaire d’Étretat, place Monseigneur Lemonnier

D’autres fragments de pierres tombales ont été découverts dans le cimetière paroissial au hasard du creusement des sépultures (Cochet 1871).

Fragments lapidaires trouvés dans le cimetière paroissial et publiés par l’abbé Cochet en 1871

Des témoignages discrets du plein Moyen-Âge

En creusant au pied de la côte du Camondet (à peu près à l’emplacement de la rue actuelle de Traz-Périer) en 1833, Jérôme Houlier mit au jour par hasard un ensemble d’objets domestiques en fer et en bronze qui était recouvert par « une grande pierre ». Ces vestiges, dont le poids total avait été estimé à 200 kg, comprenaient, entre autres : une fourchette à manche en bois, un grand couteau, un marteau, une hache, une fourche, deux verrous et une tarière en fer, une cuillère et un broc tripode en bronze à bec zoomorphe (déposé au Musée des antiquités de Rouen). Cet ensemble est attribuable au second Moyen-Âge.

Dessin publié par l’abbé Cochet dans le Bulletin de la Commission des Antiquités de la Seine-Inférieure, t.2, 1871

En limite d’Étretat, sur le territoire de l’ancienne commune de Saint-Clair, une maladrerie (ou léproserie) existait près du lieudit la Roncière, au moins depuis le XVe siècle d’après des archives citées par l’abbé Cochet ; sa chapelle, englobée par la suite dans une ferme, était nommée Saint-Nicolas du Grand Val ou Saint-Nicolas de la Chantrerie.

L’époque Moderne

Étretat fortifié

Dès le XVIIIe s. au moins, le front de mer était défendu par un système de fortifications dont l’élément le plus évident est l’ancienne tour circulaire maçonnée, de 21 pieds de diamètre, surmontée d’une plateforme crénelée, que l’abbé Cochet fait remonter au temps de Henri IV ou de Louis XIII (Cochet 1869, p. 143-145) et qui a perduré jusqu’à sa démolition en 1869 pour permettre l’agrandissement du Casino, acte de vandalisme contre lequel s’insurgea également l’abbé. Cette tour, dont on possède plusieurs représentations, donnait son nom à la rue aujourd’hui dénommée Prosper-Brindejont. Cochet mentionne aussi des « retranchements », talus défensifs en terre (l’auteur parle de « fossés », à la manière cauchoise) qui auraient été édifiés sur la plage durant la guerre de Sept Ans (1756) et qui étaient encore visibles à son époque. Quoiqu’il en soit, ils ont été entièrement détruits par les aménagements ultérieurs du perrey.

Vue cavalière de la tour du Rivage dans le Terrier d’Etretat dressé pour René de Blamanoir, seigneur de Fréfossé, reproduite par l’abbé Cochet dans le Bulletin de la Commission des Antiquités de la Seine-Inférieure, t.2, 1871
La tour encore en élévation au milieu du XIXe s. ; la terrasse de la batterie du Centre est perceptible à l’arrière-plan ; noter les deux fûts de canon gisant sur le parapet au -dessus du personnage assis

Les conflits avec l’Angleterre pendant la Révolution et l’Empire justifièrent le renforcement des défenses côtières par trois batteries d’artillerie constituées chacune de plusieurs canons pointés vers le large ; la Tour fut alors utilisée comme geôle pour les marins anglais capturés sur la côte (Nicole 1861, p. 4). Ces batteries, construites vers 1799-1800 –occasionnant la mise au jour de sépultures- furent détruites au cours du XIXe s. et l’abbé Cochet ne décrit que la batterie de droite, seule subsistant à son époque, au pied de la côte du Mont : « elle était surmontée d’un mortier pour lancer des bombes et d’un fourneau où l’on faisait rougir les boulets. La poudrière était à la côte Saint-Clair, tout près de la pointe où est aujourd’hui le Calvaire » (Cochet 1869, p. 144). Les plans de 1807 et 1820 montrent que cette batterie, à la différence des deux autres, était constituée de deux ou trois terrasses étagées. La batterie de gauche fut détruite par la tempête de 1817. La batterie du centre fut nivelée en 1851 après que Mathurin Lenormand ait obtenu des ministères de la Guerre et de la Marine un bail lui permettant de disposer du terrain pour la construction du Casino.

Plan des batteries d’Étretat en 1807
Plan des batteries en 1820
Report du plan de 1820 sur le fond de carte de l’IGN (Geoportail)

Le château de Grandval

Le château de Grandval a été édifié en 1786 dans le Grand Val par Jacques Nicolas Joseph Adam de Grandval, un officier havrais descendant d’une famille de bourgeois marchands. Le domaine, dont la trace est encore fortement inscrite dans la trame urbaine entre la rue Dorus, le chemin des Haules, la rue Guy de Maupassant et le chemin des Écoles, occupait un parc de 5,7 ha qui a été démantelé par la suite. Une partie est aujourd’hui occupée par les terrains de tennis. Il subsiste le bâtiment principal, le pigeonnier et les écuries.

Extrait d’un plan d’Étretat du XVIIIe s. (Archives Départementales de la Seine-Maritime, cote 012Fi)

En dehors du château de Grandval et de ses annexes, le seul vestige survivant du XVIIIe s. est probablement le parc à huîtres, bien qu’il ait été modifié par des aménagements ultérieurs. Creusé dans le platier rocheux au pied de la falaise d’Aval, son plan en damier formé par les réservoirs jadis reliés par des écluses est encore bien visible, particulièrement du haut de la falaise.

Plan du parc à huîtres en 1781, d’après l’abbé Dicquemare, in Cochet 1869 ; Nota : le plan, publié inversé gauche/droite, a été retourné ici
Le parc à huîtres dans son état actuel ; on reconnaît encore parfaitement le plan des bassins

La création du parc, dont l’histoire rocambolesque a été contée par Raymond Lindon (Lindon, 1955), remonte à 1777 ; les huîtres étaient alors amenées de Cancale par deux navires, la Syrène et la Cybèle ; elles étaient affinées plusieurs mois à Étretat, bénéficiant du mélange d’eaux douces de la résurgence (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/02/27/le-sous-sol-etretatais/) et des eaux marines, avant de partir pour Paris et dit-on, la table royale car cette production était appréciée de Marie-Antoinette. L’exploitation commença à péricliter pendant la Révolution et fut abandonnée. Elle fut brièvement reprise entre 1822 et le milieu du XIXe s. (Cochet, 1848). Le parc a servi de décor en 1959 à une scène du film de Maurice Labro « Le fauve est lâché », avec Lino Ventura.

Scène du film « Le fauve est lâché », dans une cavité de la falaise d’Aval

L’époque contemporaine : le fort de Fréfossé

Les cartes postales anciennes (mais pas les plus anciennes) montrent une curieuse construction pseudo-féodale sur le sommet de la Falaise d’Aval, presque à l’aplomb de la Porte et de son Aiguille, dans une position éminemment stratégique. Il s’agit du Fort de Fréfossé, homonyme du château de Fréfossé qui se dresse sur la commune du Tilleul, à 1800 mètres à vol d’oiseau. L’édifice étretatais, à l’allure de forteresse médiévale, était une fantaisie que fit bâtir en 1890 Aimé Dubosc, l’ancien propriétaire du château tilleulais, afin de servir de rendez-vous de chasse. Un gardien l’occupait l’été et on y vendait des boissons fraîches en terrasse, ainsi que des sandwiches et des gâteaux secs (Tonnetot, 1962 p. 143). Détruit en 1911 car il avait été bâti illégalement sur un terrain relevant de l’espace public et aussi parce que son éclairage gênait la navigation, ce pastiche architectural était voisin de la Chambre des Demoiselles, une cavité aménagée entre deux pitons crayeux au sommet de la falaise et à laquelle s’attache la légende de jeunes filles enfermées par le seigneur de Fréfossé. Toutes les conditions étaient réunies pour alimenter bien des fantasmes et Maurice Leblanc a exploité l’aubaine dans son fameux roman « L’Aiguille creuse ». D’après certains (dont l’abbé Cochet), à l’emplacement où fut édifiée la contrefaçon moderne, s’élevait un ancien fort médiéval, mentionné sur des cartes du XVIIIe s. et dont des vestiges étaient encore évidents au siècle suivant.

 » Ce fort se divisait en deux parties : la première est une enceinte circulaire défendue par des retranchements en terre de forme zigzaguée ; derrière ces fossés s’élevaient des murailles dont les dents sortent de dessous l’herbe et dont les bouts tombent chaque jour dans la mer. L’autre partie qui semble être le donjon du fort, n’était point défendue par un fossé, mais seulement par des murailles ; on y remarque des murs quadrangulaires qui paraissent des débris de maisons (…). C’est dans cette partie que les anciens ont encore connu le four qui servait à cuire le pain. C’est là aussi qu’était placée la grande couleuvrine dont les seigneurs de Fréfossé se servaient, dit-on, pour tirer sur les navires qui ne voulaient pas payer le droit de péage, ni saluer Saint-Pierre-de-la-Manche dans l’église d’Étretat. « 

Abbé Cochet, Petite histoire d’Étretat, 1869.
Le fort de Fréfossé sur une carte postale ancienne

Toujours est-il que des fondations de cette ancienne construction ou/et du fort contemporain sont encore visibles sur la falaise d’Aval, à côté de la Chambre des Demoiselles et dans les coupes de la falaise, ce qui témoigne de son recul depuis un siècle.

Le fort de Fréfossé vu de la Chambre des Demoiselles ; le muret en silex à l’extrême-droite du cliché est encore visible aujourd’hui
Muret en silex sur le promontoire au centre du cliché
Vestiges de fondations en plan
Vestiges en coupe dans une poche d’argile à silex
Muret en silex près de la Chambre des Demoiselles

Supplique pour des diagnostics

Travaux d’assainissement à la fin du XIXe s. rue de l’Abbé Cochet, au pied du site du Presbytère fouillé par le même abbé Cochet ; cliché Roland Flamant, AD de Seine-Maritime, 08Fi0314

Le bilan des connaissances archéologiques actuelles sur Étretat montre la richesse en vestiges archéologiques de différentes époques et en même temps notre méconnaissance sur l’occupation du territoire étretatais dans ses composantes économiques, démographiques, sociales,… Les aménagements les plus importants ont été réalisés avant les débuts de l’archéologie moderne et les sites mis au jour n’ont pu bénéficier des nouvelles méthodes d’investigation, d’analyse et d’interprétation. En revanche de nombreux travaux plus ponctuels ont été et sont encore réalisés régulièrement, sans intervention archéologique préalable ni même sans surveillance archéologique ; on peut citer pêle-mêle les travaux de réfection des digues, le creusement de bassins de retenue des eaux à Valaine et dans le Petit Val, la création d’un grand parking de part et d’autre de la route du Havre, l’aménagement des sentiers touristiques le long des falaises, l’aménagement du parc des Roches, les travaux de voirie et les changements de réseaux en centre-ville, la nouvelle station d’épuration ou encore, plus récemment, l’aménagement de terrasses dans les  » Jardins d’Étretat « .

Travaux de terrassement sur la falaise d’Amont en mai 2021
Travaux de construction au pied du versant méridional de la vallée d’Étretat, rue des Écoles, en décembre 2021

Depuis 2001, le Code du Patrimoine permet maintenant d’imposer des diagnostics archéologiques, suivis de fouilles préventives si nécessaire, préalablement aux travaux d’aménagement susceptibles de mettre au jour des vestiges archéologiques. L’aménageur, privé ou public, peut lui-même anticiper cette contrainte et demander la réalisation d’un diagnostic avant d’entamer son projet, quel qu’en soit l’importance. L’application de cette législation par les services régionaux de l’archéologie a permis à l’archéologie française de faire des progrès considérables ces vingt dernières années. Étretat doit également profiter des moyens de sauvegarder et connaître son patrimoine archéologique.

Addendum

Depuis la rédaction de cet article, le projet de construction d’un lotissement sur près de 3000 m², rue Guy de Maupassant, près des terrains de tennis, a incité le Service Régional de l’Archéologie de Normandie à prescrire un diagnostic archéologique préalable. Celui-ci a été réalisé en septembre 2021 par l’Inrap (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), sous la responsabilité de Claire Barbet. Le terrain concerné se situe dans l’emprise de l’ancien parc du château de Grandval, où divers aménagements ont été réalisés à l’époque moderne et contemporaine. Les tranchées de décapage réalisées à la pelle mécanique n’ont pas mis au jour de vestiges d’occupation ancienne mais une lame en silex partiellement corticale, attribuable au Paléolithique final ou au Mésolithique, a été découverte dans des terrains remaniés (Barbet, 2021). Cet artefact lithique est le plus ancien vestige archéologique découvert sur le territoire d’Étretat dans des circonstances bien établies.

Pour en savoir plus :

  • Léon AUFRERE : Boucher de Perthes, imaginer la Préhistoire. CNRS éditions, 2018, 143 pages.
  • Claire BARBET : Rue Guy de Maupassant (Normandie, Seine-Maritime, Étretat). Rapport de diagnostic, Inrap, octobre 2021, 51 pages.
  • Marcelin BLANADET : Bibliographie de l’abbé Cochet. Librairie Picard, Paris, 1895, 238 pages.
  • Claire BEURION : Criquetot-l’Esneval, route de Vergetot. Bilan Scientifique Régional 2018 de Normandie, Ministère de la Culture, 2020, p. 221.
  • François BORDES : Les limons quaternaires du Bassin de la Seine. Stratigraphie et archéologie paléolithique. Archives de l’Institut de Paléontologie Humaine, n°26, 1954.
  • François BORDES : Les loess de Goderville et la stratigraphie du Quaternaire récent. Bulletin de la Société Géologique de France, 7e série, vol. V, 1963, p. 443-445.
  • David BRETON : Criquetot-l’Esneval, le Beuzeboc. Bilan Scientifique Régional 2018 de Normandie, Ministère de la Culture, 2020, p. 220-221.
  • M. BRIANCHON : L’abbé Cochet, sa mort, son inhumation, son monument. Imprimerie E. Cagniard, Rouen, 1875.
  • Abbé COCHET : Étretat et ses environs. Morlent, Le Havre, 1839, 60 pages. La liste des publications de l’abbé Cochet est très longue (138 brochures et 13 ouvrages, sermons, discours et rapports inclus) mais en réalité beaucoup de ces ouvrages se répètent souvent mot pour mot.
  • Abbé COCHET : Le Havre et son arrondissement. Le Havre, 1840.
  • Abbé COCHET : Fouilles d’Etretat (chronique). Revue de Rouen, 1er sem. 1842, p. 134-135.
  • Abbé COCHET : Lettres sur les fouilles d’Etretat (Villa romaine). Bulletin monumental, t. VIII, p. 102-104.
  • Abbé COCHET : L’Étretat souterrain, 1ère série, fouilles de 1835 et de 1842. Périaux, Rouen, 1842, 27 pages (extrait de la Revue de Rouen, 1842, p. 318-331 et 380-389).
  • Abbé COCHET : Lettre à M. de Caumont sur la Villa du Château-Gaillard. Bulletin monumental, t. IX, 1843, p. 106-111.
  • Abbé COCHET : Fouilles du Château-Gaillard dans l’arrondissement du Havre. Périaux, Rouen, 1843, 27 pages (extrait de la Revue de Rouen, janvier 1843).
  • Abbé COCHET : L’Étretat souterrain, 2e série. Péron, Rouen, 1844, 15 pages (extrait de la Revue de Rouen, janvier 1844, p. 25-37).
  • Abbé COCHET : Notice sur les ruines d’une villa romaine découverte à Bordeaux, près Etretat (Seine-Inférieure). Bulletin monumental, 1844, t. X, p. 160-172.
  • Abbé COCHET : L’Étretat souterrain, 2ème série, fouilles de 1843. Péron, Rouen, 1844, 7 pages.
  • Abbé COCHET : Les Églises de l’arrondissement du Havre, vol. 1. 2e éd., imprimerie de Roquencourt, Ingouville, 1846, 282 pages.
  • Abbé COCHET : Le parc aux huîtres d’Etretat. Revue de Rouen, 1848, p. 122-124.
  • Abbé COCHET : Tombeau en pierre trouvé dans le Grand-Val, près Etretat. Revue de Rouen, 1850, p. 204-505.
  • Abbé COCHET : Rapport sur les fouilles du Bois des Loges (canton de Fécamp, arrondissement du Havre, faites en août 1851). Péron, Rouen, 1851, 10 pages (extrait de la Revue de Rouen, sept.-oct. 1851, p. 385-394).
  • Abbé COCHET : La Normandie souterraine ou Notice sur des cimetières romains et des cimetières francs explorés en Normandie.  Librairie Lebrument, Rouen, 1854, 406 pages.
  • Abbé COCHET : Découvertes de sépultures gallo-romaines (près d’Etretat). Bulletin monumental, t. XXI, 1855, p. 437-438.
  • Abbé COCHET : Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes, faisant suite à La Normandie souterraine. Librairie E. Derache, Paris, 1857, 452 pages.
  • Abbé COCHET : Hachettes diluviennes du bassin de la Somme. Rapport adressé à M. le Sénateur Préfet de la Seine-Inférieure. A. Aubry, Paris, 1860, 17 pages.
  • Abbé COCHET : Voie romaine de Lillebonne à Etretat. Librairie Valin, Bolbec, 1860, 4 pages (extrait du Journal de Bolbec du 17 novembre 1860).
  • Abbé COCHET : Etretat. Projet de port militaire. Librairie Valin, Bolbec, 1860, 2 pages.
  • Abbé COCHET : Une visite aux sablières de Saint-Acheul. Bulletin Monumental, t. XXVII, 1861, p. 65-72.
  • Abbé COCHET : La Seine-Inférieure historique et archéologique. Époques gauloise, romaine et franque. Librairie E. Derache, Paris, 1864, 552 pages. (Mme de Maupassant figure dans la liste des souscripteurs de l’ouvrage)
  • Abbé COCHET : Petite histoire d’Étretat. 1869, ré-édité par les éditions des régionalismes, 2010, 152 pages.
  • Abbé COCHET : Étretat, son passé, son présent, son avenir. 5e édition, 1869, ré-édité par Le livre d’histoire-Lorisse, Paris, 2005, 166 pages (la première édition date de 1850).
  • Abbé COCHET : Etretat, la Tour du rivage. Bull. de la commission des antiquités de la Seine-Inférieure, 1871, p. 13-16.
  • Abbé COCHET : Pierres sculptées recueillies dans le cimetière d’Etretat. Bull. de la commission des antiquités de la Seine-Inférieure, 1871, p. 86-87.
  • Abbé COCHET : Répertoire archéologique du département de la Seine-Inférieure, rédigé sous les auspices de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen. Imprimerie Nationale, Paris, 1871, 652 pages. (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k36742w/f52.item#)
  • DUBUS : Carte préhistorique et protohistorique du département de la Seine-Inférieure. Bulletin de la Société Normande d’Études Préhistoriques, tome 22, 1914-1915 (1920).
  • Patrick GUEULLE : Lupinologie ou archéologie ? Études normandes, tome 55, n°1, 2006, p. 51-58.
  • Alexandre Auguste GUILMETH : Histoire de la ville et des environs du Havre, d’Ingouville, de Montivilliers, de Criquetot-l’Esneval et de Fécamp. 1841.
  • Annette LAMING-EMPERAIRE : Origines de l’archéologie préhistorique en France. Éd. A. et J. Picard, 1964, 244 pages.
  • Jean-Pierre LAUTRIDOU, Guy VERRON et Gérard FOSSE : Les loess de Goderville (Seine-Maritime) : stratigraphie et industries préhistoriques. Bulletin de l’Association Française pour l’Etude du Quaternaire, n°40-41, 1974, p. 244-251.
  • Claude LECHEVALIER et Jean-Pierre WATTÉ : Un nouveau site campaniforme sur les côtes de la Manche à Yport (Seine-Maritime). Bulletin de la Société Préhistorique Française, Comptes-rendus de séances mensuelles n°7, tome LXIII, 1966, p. CCXXXVI-CCXXXVIII.
  • Raymond LINDON : Histoire savoureuse du parc à huîtres d’Etretat. Les Éditions de Minuit, 1955, 63 pages.
  • Raymond LINDON : Étretat, son histoire, ses légendes. Les Éditions de Minuit, 1963, 186 pages.
  • Joachim MICHEL : Causeries sur Fécamp, Yport, Etretat, etc. Fécamp, 1857.
  • Arthur du MONSTIER : Neustra Pia, seu de omnibus et singulis abbatiis et prioratibus totius Normaniae, 1663.
  • Joseph MORLENT (dir.) : Le Havre et son arrondissement, 1re partie. Édition J. Morlent, Le Havre, 1841 (le chapitre sur Étretat, rédigé par l’abbé Cochet, est repris dans son ouvrage sur Etretat, son passé, son présent, son avenir).
  • G. NICOLE : Sur la plage, Etretat. Éd. T. Cochard, Le Havre, 1861, 118 pages. (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6526500j.texteImage)
  • Olivier PERRU : Le mythe de l’homme antédiluvien au XIXe s. L’abbé Jean-Benoît Cochet (1812-1875) et Jacques Boucher de Perthes (1788-1868). Bulletin d’Histoire et d’Épistémologie des Sciences de la Vie, vol. 26, n°2, p. 171-186.
  • Monique RÉMY-WATTÉ : À l’origine de la préhistoire en Haute-Normandie : l’abbé Cochet, Georges Pouchet et Boucher de Perthes. Journées archéologiques de Haute-Normandie, Rouen, 3-5 avril 2009, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, p. 9-22.
  • F. RENOUT : Jean Benoît Désiré Cochet, prêtre, archéologue et conservateur. Cercle Généalogique du Pays de Caux, 2020 (en ligne : https://www.geneacaux.fr/spip/spip.php?article625)
  • Charles ROESSLER : Étude sur l’abbé Cochet. Ed. Rouveyre, Paris, 1886, 67 pages.
  • Isabelle ROGERET : Carte archéologique de la Gaule. La Seine-Maritime. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1998, 662 p.
  • Service Régional de l’Archéologie de Haute-Normandie : Bilan Scientifique Régional de Haute Normandie 1998. Paris, Ministère de la Culture.
  • Luc VALLIN : Géomorphologie et Préhistoire de la région d’Étretat (Seine-Maritime). Mémoire de maîtrise de géographie, Université de Rouen, 1977, 145 pages.
  • Guy VERRON : Antiquités préhistoriques et protohistoriques. Musée départemental des antiquités de la Seine-Maritime, Rouen, 1971, 130 pages.
  • Guy VERRON : La recherche des origines et la naissance de la préhistoire normande. Annales de Normandie, 1990, t. 23, p. 35-51.
  • Guy VERRON : Informations archéologiques, circonscription de Haute et Basse Normandie. Gallia-Préhistoire, t. 16, fasc. 2, 1973, p. 390.
  • Guy VERRON : Informations archéologiques, Haute et Basse Normandie. Gallia-Préhistoire, t. 18, fasc. 2, 1975, p. 498.
  • Guy VERRON : Informations archéologiques, Haute et Basse Normandie. Gallia-Préhistoire, t. 20, fasc. 2, 1977, p. 402-404.
  • L’archéologie en France, missions et acteurs, sur le site de la DRAC Normandie : https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Normandie/Ressources/Fiches-pratiques-et-ressources-pour-comprendre-l-archeologie/L-archeologie-en-France-missions-et-acteurs

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *