Mourir peut attendre : l’espérance de vie des Étretatais(es)

À Étretat les centenaires ne meurent que par imprudence

Les chroniqueurs successifs d’Étretat ont souligné la longévité jugée exceptionnelle de ses habitants, qu’ils attribuaient aux vertus du climat maritime et à un mode de vie sain. Raymond Lindon, dans un ouvrage paru en 1963, cite en exemple l’abbé Sortembosc, mort à plus de 90 ans (en 1821), le père de l’abbé Cochet, mort à 84 ans (en 1853), deux pêcheurs : Coquin, mort à 95 ans et Vatinel, mort à 93 ans et le capitaine de frégate Benoît Vallin mort à 87 ans (en 1856). Légende ou réalité ?

« Oh ! comme la nature était belle, suave et pure aux premiers rayons du matin ! Chose étrange ! Elle conserve ici les gens si vivaces et si jeunes, que même l’hiver de la vie à Étretat y vaut souvent mieux que le printemps à Paris »

Jacob Venedey 1838

Dans cet article nous allons tenter de suivre, au fil du temps, le parcours de vie des générations successives d’Étretatais et d’Étretataises. Pour cela nous avons sélectionné, dans les registres paroissiaux et dans les registres d’état-civil, les enfants nés à Étretat à une période donnée puis nous avons recherché la date de décès de chaque individu. Ce mode d’approche, qui fait appel à la notion démographique de table de mortalité (Pressat, 1972)  est le plus à même de mettre en évidence l’espérance de vie à la naissance pour une génération donnée. Pour mesurer la mortalité d’une population, les démographes utilisent conventionnellement des mesures telles que le taux brut de mortalité (rapport du nombre de décès annuel à l’effectif total de la population), le taux de mortalité par âge (rapport du nombre de décès annuel par classe d’âge à l’effectif total de cette tranche d’âge) mais ces calculs, de toute façon difficiles à établir pour une population aussi réduite que la population étretataise, surtout pour les périodes anciennes, renvoient à des notions plus abstraites que celle que nous avons choisie.

Les Parques, peinture d’Alfred Agache, Palais des Beaux-Arts de Lille ; Nona fabrique le fil de la destinée, Decima le déroule et Morta le coupe ; Photo (C) RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski

Il n’a malheureusement pas été possible de retrouver la destinée de toutes les personnes concernées, surtout pour les périodes les plus anciennes et particulièrement lorsque les individus ont définitivement quitté Étretat au cours de leur vie. Pour conserver un échantillonnage statistiquement acceptable, nous avons considéré, pour chaque génération choisie, la population née durant un intervalle de 4 ans pour les périodes les plus anciennes et de deux ans pour les périodes contemporaines, de façon à obtenir des effectifs d’une cinquantaine à une centaine d’individus. Ces effectifs restent faibles, ce qui peut avoir pour effet d’amplifier certains évènements.

Pour qui veut connaître une population quelconque, il y a trois choses à interroger, correspondantes aux trois solennelles époques de la vie : le berceau, le lit nuptial, la tombe

Jacob Venedey : Yport et Etretat en 1837.

Les enfants nés sous le règne du Bien-Aimé (1730-1733)

Le contexte national

Les données démographiques exploitables les plus anciennes remontent aux années 1730.  À cette époque, Louis XV règne sur la France ; Voltaire a fêté ses 36 ans et s’apprête à publier ses « Lettres philosophiques ».  Marivaux fait représenter « Le jeu de l’amour et du hasard » à Paris et à Versailles. Le royaume est enfin pacifié après la série de guerres qui ont secoué l’Europe ; une courte phase d’essor économique s’ouvre en France.

Le contexte local

Étretat n’est encore qu’un village de pêcheurs entouré de petites communautés villageoises agricoles. L’année 1730 est une année heureuse car elle voit le hareng proliférer sur la côte. En 1739, le rapport du commissaire de la Marine François Sicard sur le quartier maritime de Fécamp dénombre à Étretat 26 matelots et huit navires (Y. Gobert-Sergent, 2006). Les naissances sont assez peu nombreuses : 23 en 1730, 24 en 1731, 31 en 1732, 27 en 1733. Elles l’emportent largement sur les décès, qui se chiffrent à 5 en 1730, 18 en 1731, 6 en 1732 et 6 en 1733.

L’église Notre-Dame où ont été baptisés les nouveaux-nés des générations successives d’Étretatais(es)

L’espérance de vie

Au total, 105 personnes sont nées à Étretat entre 1730 et 1733. Nous n’avons pu retrouver la date du décès que pour 60 d’entre elles (25 hommes et 35 femmes).

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés entre 1730 et 1733

La distribution des âges au décès, pour ces Étretatais nés il y a près de trois siècles, présente deux pics de fréquence bien marqués ; le premier, qui est le plus important, se situe dans la classe d’âge qui va de un à cinq ans. La petite enfance est clairement la période la plus critique à passer : 28 % des individus ne dépassent pas l’âge de cinq ans. La mortalité infantile (qui concerne les décès des enfants de moins d’un an) est importante : un enfant sur 10 meurt avant son premier anniversaire. Le nombre de décès diminue progressivement après l’âge de cinq ans ; il augmente de nouveau après 40 ans et montre un second pic dans la tranche 70-80 ans. Près d’un tiers des Étretatais de cette génération sont décédés entre 60 et 80 ans et ont donc traversé le XVIIIe siècle. 5 % des Étretatais sont même devenus octogénaires.

L’âge moyen au décès est de 35 ans ; la médiane se situe à 26 ans seulement, en raison du nombre important de décès en bas-âge.  Ces chiffres diffèrent selon le sexe : si l’âge moyen du décès est de 39 ans et demi pour les hommes, il n’est que de 32 ans pour les femmes ; l’écart en faveur des hommes est encore plus important pour la médiane : 30 ans chez les hommes, 14 ans chez les femmes.

Le dernier survivant de cette génération est un homme, Pierre Sanson, qui naquit en 1730 et mourut en 1816, à l’âge de 86 ans, après avoir connu la Guerre de Succession d’Autriche, la Guerre de Sept Ans, la guerre d’Indépendance américaine, la Révolution et le Premier Empire. Cet homme fut marchand laboureur à Bordeaux-Saint-Clair puis marchand épicier à Étretat ; il se maria aux Loges à l’âge de 28 ans ; devenu veuf en 1790, il se remaria à Saint-Jouin l’année suivante, à l’âge de 60 ans. La doyenne est Marie Leleu, née en 1731 et décédée en 1814, à 82 ans. Élevée dans une fratrie de huit enfants, elle était la fille aînée d’un cordonnier qui mourut à 74 ans ; sa mère, Adrienne Vallin, mourut à 71 ans. Ses frères et sœurs bénéficièrent aussi d’une longévité estimable : si les deux puînées moururent en bas-âge (2 et 4 ans), les autres vécurent jusqu’à respectivement 87, 79, 75, 76 et 79 ans. Marie épousa à Beaurepaire, à l’âge de 57 ans, un veuf qui était tourneur de son métier.

Les enfants nés à la veille de la Révolution (1780-1783)

Le contexte national

Nous voici cinquante ans plus tard. La France est encore sous l’Ancien Régime. Louis XVI est monté sur le trône en 1774. La situation économique est difficile et aggravée par les aléas climatiques qui provoquent des crises alimentaires ; les finances publiques sont plombées par les dépenses de la cour et par le financement de la guerre d’Indépendance américaine.

Le contexte local

Tableau d’Alexandre Noël daté de 1786 et considéré comme la plus ancienne représentation picturale d’Étretat ; une tour de défense est visible au centre de la plage (in Delarue 2005)
Le château de Grandval, construit en 1786 par le Havrais Jacques Nicolas Adam, qui fut commandant militaire de l’arrondissement d’Étretat

En tant que village côtier, Étretat revêt une certaine importance stratégique dans la défense contre l’Angleterre avec laquelle la France est en conflit ouvert. Lamblardie, ingénieur du port de Havre, élabore en 1786 un projet de création d’un port dans la rade d’Étretat, qu’il publie en 1789. Un parc à huîtres est créé en 1777, qui n’aura qu’une existence éphémère. Les naissances sont à peu près aussi nombreuses qu’un demi-siècle plus tôt : 28 en 1780, 17 en 1781, 33 en 1782, 26 en 1783. Le nombre des décès varie beaucoup d’une année sur l’autre, au rythme des épidémies (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/03/12/les-epidemies-a-etretat-entre-1740-et-1850/) : 23 décès en 1780, 6 en 1781, 19 en 1782 et 19 en 1783. Le bilan reste quand même excédentaire.

Projet de port à Étretat, publié par l’ingénieur Jacques-Élie Lamblardie en 1789

L’espérance de vie

Au total, 104 enfants (y compris les mort-nés) sont nés à Étretat entre le 1er janvier 1780 et le 31 décembre 1783, presque autant que cinquante ans plus tôt. Nous avons pu retrouver la date du décès pour 87 d’entre eux (41 hommes et 46 femmes).

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés entre 1780 et 1783

La mortalité infantile a augmenté depuis les années 1730 : 15 % des enfants meurent dans leur première année (trois enfants « présentés sans vie » sont inclus dans ce chiffre) ; en contrepartie,  la mortalité juvénile (entre le 1er et le 5e anniversaire) a baissé. Au total, près de 28 % des enfants ne dépassent toujours pas leur 5e anniversaire. En revanche la mortalité chute fortement après l’âge de 5 ans. Elle remonte légèrement à l’adolescence pour connaître un deuxième cap critique dans la classe des jeunes adultes de 20 à 30 ans : 7 % des individus meurent dans cette tranche d’âge.  Ce rebond de mortalité, qui touche surtout les hommes, est dû en partie aux conflits de la Révolution et de l’Empire : deux frères Duchemin, embarqués au service de la République sur des frégates différentes, sont morts en 1802, à une semaine d’intervalle, à l’hôpital de Saint-Domingue, à l’âge de 19 et 21 ans ; Pierre Auguste Lecompte est mort à Anvers en 1810 à l’âge de 28 ans ; Charles Benoît Vallin, matelot de première classe à la 4e compagnie du 89e équipage de haut-bord, est mort à l’hôpital de Toulon en 1814 à l’âge de 30 ans. Un troisième sursaut de mortalité concerne la tranche d’âge 40-50 ans ; il touche 11,5 % des Étretatais(es). La mortalité diminue légèrement dans les tranches d’âge suivantes avant de connaître un dernier pic qui touche les septuagénaires : 17 % des individus sont morts entre 70 et 80 ans. C’est désormais 12 % des Étretatais(es) qui deviennent octogénaires. On compte même une nonagénaire. Ce sont ces vieillards qu’a connu Guy de Maupassant lorsqu’il fréquentait Étretat.

L’âge moyen au décès a augmenté, principalement grâce à la diminution de mortalité entre 5 et 20 ans : il est désormais de 43 ans ; la médiane est un peu plus élevée et se situe à 47 ans.  L’écart entre les sexes s’est réduit : l’âge moyen au décès est de 45 ans pour les hommes et 41 ans et demi pour les femmes ; la médiane  diffère peu selon le sexe : 47 ans chez les hommes, 48 ans chez les femmes.

Le dernier survivant de cette génération est une femme, Anne Rose Beaufils, née en 1783 et qui mourut à 91 ans en 1874. Aînée d’une fratrie de dix enfants, elle se maria à l’âge de 19 ans avec Pierre Auguste Lecompte dont elle eut deux filles qui moururent à 35 et 24 ans ; un an après la mort de son mari à Anvers, elle se remaria à l’âge de 28 ans avec un cordonnier dont elle eut une fille, qui fut en 1842 une des quatre victimes de l’inondation du 24 septembre. Anne Rose réussit à échapper au même sort en crevant le plafond de la pièce où les deux femmes s’étaient réfugiées. Le doyen de la génération est Jean Baptiste Acher, mort à l’âge de 89 ans en 1872. Parmi ses quatre frère et sœurs, l’un mourut à 80 ans, deux autres à respectivement 75 et 87 ans. Jean Baptiste s’est marié à l’âge de 32 ans avec une Vatinel qui lui donna sept enfants et mourut cinq ans avant lui. Trois de ses enfants héritèrent de sa longévité et moururent à respectivement 86, 85 et 88 ans. Un quatrième mourut à 70 ans, les autres moururent avant l’âge de 4 ans.

Les enfants nés à la veille du grand chambardement d’Étretat (1830-1831)

Le contexte national

La révolution de 1830 met fin au règne de Charles X et instaure la monarchie de Juillet qui installe Louis-Philippe sur le trône. L’agitation politique est forte, tant du côté républicain que du côté légitimiste ; elle est sévèrement réprimée par Adolphe Thiers, qui sera plus tard le fossoyeur sanguinaire de la Commune. La Révolution industrielle démarre. Le choléra fait des ravages en Europe en 1832 (http://www.carnetsdepolycarpe.com/le-cholera-morbus-en-1832-chronique-dune-epidemie/).

Le contexte local

Étretat en 1842, tableau d’Eugène Le Poittevin (Musée des Pêcheries de Fécamp) ; caïques, caloges et cabestans constituent le seul décor du bord de mer

Étretat vit aussi dans la crainte de l’épidémie (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/03/12/les-epidemies-a-etretat-entre-1740-et-1850/). L’économie du village est encore dominée par la pêche côtière ; l’artisanat textile pratiqué à domicile, surtout par les femmes, apporte un maigre complément de revenu. Le niveau de vie est bas et les familles peinent à joindre les deux bouts, comme en témoigne Rose Vallin dans son récit écrit en 1844 et publié en 1869 par Alphonse Karr chez Michel Lévy sous le titre de l’Histoire de Rose et de Jean Duchemin. C’est dans les mêmes années 1830-1840 que des artistes parisiens, Alphonse Karr, Eugène Isabey et Eugène Le Poittevin en tête, découvrent le site d’Étretat et le font rapidement connaître dans les salons parisiens, préparant la vogue du tourisme balnéaire chic, qui prendra toute son ampleur sous le Second Empire. Les naissances ont presque doublé en un demi-siècle : on en compte 53 en 1830 et 65 en 1831. Le nombre annuel de décès a augmenté en proportion : 35 en 1830 et 52 en 1831. Au recensement de 1841, Étretat comptait 1514 habitants (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/05/24/les-premiers-recensements-de-la-population-etretataise/).

Incipit du récit de Rose Vallin, épouse Duchemin (1793-1866), publié en volume par Alphonse Karr ; en réalité, Rose s’est mariée en 1812
Portrait par Bertall dans l’ouvrage publié par Alphonse Karr

Au total, 118 personnes sont nées à Étretat entre le 1er janvier 1830 et le 31 décembre 1831. Nous avons pu retrouver la date du décès pour 92 d’entre elles (44 hommes et 48 femmes). À partir des années 1840 et surtout 1850, les mouvements de population à l’intérieur du territoire national vont devenir plus importants et l’exode rural commencera à s’exercer aussi à Étretat. Auparavant on vivait et on mourait ordinairement dans son lieu de naissance ; dorénavant, on n’hésitera pas à partir dans les villes voisines  pour améliorer son niveau de vie : Le Havre et Fécamp seront les principales destinations. Du fait des mutations économiques du village au milieu du siècle, certaines familles d’artisans et de commerce arrivent et repartent selon un turn-over plus fréquent qu’avant ; elles s’ajoutent aux familles de fonctionnaires, mobiles par définition. Pour toutes ces raisons, un certain nombre d’étretatais(es) de cette génération n’ont passé qu’une partie de leur vie au village natal.

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1830 et 1831

La mortalité infantile continue à progresser de façon inquiétante : près de 23 % des enfants de cette génération n’ont pas dépassé leur premier anniversaire (en incluant deux enfants mort-nés). En contrepartie la mortalité juvénile (entre un et cinq ans) a continué à baisser mais c’est encore 29 % des étretatais(es) qui ne dépassent pas les 5 ans. Comme précédemment, la mortalité chute brusquement après 5 ans ; elle se maintient autour de 5 % dans les classes d’âge suivantes, jusqu’à 60 ans. De cette génération, 30 % des Étretatais(es) sont morts entre 10 et 60 ans ; parmi les décès d’adultes, quelques-uns sont accidentels et liés aux dangers du métier de marin ; au moins deux hommes sont dans ce cas, l’un mort en rade de Naples à 22 ans, l’autre mort en mer à 44 ans. La mortalité augmente rapidement après 60 ans : 27 % des individus sont décédés entre 60 et 80 ans (contre 24 % précédemment) mais ils sont encore 13 % à dépasser les 80 ans. On compte deux nonagénaires.

L’âge moyen au décès n’a pas bougé : il est toujours de 43 ans ; la médiane se situe encore à 47 ans.  L’écart entre les sexes est inchangé : l’âge moyen est de 45 ans pour les hommes et 41 ans et demi pour les femmes ; la médiane diffère peu selon le sexe : 47 ans chez les hommes, 48 ans chez les femmes. La doyenne, Marie Eloïse Vallin, s’est éteinte à 95 ans, en 1927, après avoir connu successivement le règne de Louis-Philippe, la Révolution de 1848, le Second Empire, la IIIe République et une Guerre Mondiale. Son père, qui avait été tisserand puis cantonnier, était décédé à 84 ans ; une de ses sœurs a atteint l’âge de 85 ans. Le doyen, Benoît Léon Lemonnier, est mort au Havre à 92 ans, en 1924. Il était menuisier de son état. Marié à Étretat en 1855, il a survécu 44 ans à son épouse. Deux de ses filles moururent à  93 ans, une troisième mourut à 87 ans.

Les enfants nés au milieu du XIXe siècle (1850-1851)

Le contexte national

La France est de nouveau en République mais ce régime n’est que provisoire car le prince Louis-Napoléon, élu à la présidence en 1848, prépare son coup d’état : le ver est dans le fruit. Victor Hugo prend le chemin de l’exil en décembre 1851.

Le contexte local

La rue Monge en 1851
Le halage d’un canot sur la plage d’Étretat, tableau d’Eugène Le Poittevin, 1856 ; à l’arrière-plan, halage au cabestan (https://peintres-officiels-de-la-marine.com/Lepoittevin-Eugene/Lepoittevin-Eugene.html)


Le village d’Étretat a changé ; les villas se construisent sur les coteaux, les estivants font appel aux artisans et commerçants étretatais ; ils ont également recours aux services d’employé(e)s de maison : blanchisseuses, repasseuses, couturières, jardiniers, cuisinières,… Un casino est ouvert sur le front de mer en 1852. L’abbé Cochet, qui s’intéressait dès 1830 au passé étretatais (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2021/10/25/le-patrimoine-enfoui-detretat/), publie à Dieppe en 1850 un ouvrage de référence : « Étretat, son passé, son présent, son avenir », qui fera par la suite l’objet de nombreuses rééditions. Le Brayon Jean-François Brianchon fait paraître de 1859 à 1863 son « Bulletin d’Étretat  », gazette estivale à destination des baigneurs. Les naissances se maintiennent à un niveau élevé : on en compte 47 en 1850 et 59 en 1851. Le nombre de décès annuel est de 38 en 1850 et de 26 en 1851. Le recensement de 1851 indique 1501 habitants, chiffre à peu près identique à celui de 1841. La pyramide des âges présente une base élargie qui indique la forte proportion des enfants et des adolescents : 47 % de la population a moins de 20 ans ; les personnes de plus de 60 ans comptent pour près de 10 % de la population. Les octogénaires ne sont qu’au nombre de cinq ; la doyenne, Jeanne Françoise Barrey, a 89 ans.

Pyramide des âges de la population étretataise en 1851, d’après les chiffres du recensement ; effectif en abscisses, classes d’âge en ordonnées (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/05/24/les-premiers-recensements-de-la-population-etretataise/)

Au total, 106 personnes sont nées à Étretat entre le 1er janvier 1850 et le 31 décembre 1851 (dont 8 enfants mort-nés). Nous avons pu retrouver la date du décès pour 86 d’entre elles (46 hommes et 40 femmes).

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1850 et 1851

L’allure générale de la courbe des décès n’a guère changé : la mortalité infantile est toujours forte, avec 27 % des décès avant un an ; beaucoup d’entre eux sont des enfants mort-nés. S’ajoute à cela une mortalité juvénile encore forte ; 10,5 % des Étretatais(es) sont morts entre un et dix ans. La mortalité chute ensuite chez les adolescents pour remonter de nouveau après 20 ans, en partie à cause des risques encourus par les marins : quatre Étretatais de cette génération sont morts en mer ou durant un embarquement, à respectivement 21, 22, 23 et 40 ans. La mortalité augmente encore après 50 ans ; près de 25 % des individus sont morts entre 60 et 80 ans. Ils ne sont plus que 3,5 % à dépasser 80 ans ; ce ne sont d’ailleurs que des femmes, aucun homme n’ayant dépassé sa 79e année.

L’âge moyen au décès a chuté et rejoint la valeur des années 1730 : il n’est plus que de 36 ans ; la médiane se situe à 37 ans et demi.  L’écart entre les sexes s’est inversé : l’âge moyen est de 30 ans pour les hommes et 42 ans et demi pour les femmes ; l’écart est encore plus important pour la médiane : 21 ans et demi chez les hommes, 47 ans et demi chez les femmes. La doyenne est Marie Blanche Mathilde Élise Vatinel, morte en 1944 à l’âge de 95 ans, après avoir connu le Second Empire et deux guerres mondiales. Elle était couturière et épousa en 1871 un tailleur d’habits qui mourut en 1904. Ses frères et sa sœur étaient morts jeunes mais sa mère avait vécu jusqu’à 91 ans. Sa fille est morte à 87 ans et son fils à 81 ans. Chez les hommes, le dernier de la génération fut Benoît Léopold Savalle, maçon, mort en 1930 à l’âge de 78 ans et dix mois (seulement, serait-on tenté de dire).

Blanche Vatinel, épouse Hauville, en 1918

« Le climat d’Étretat est frais et sain ; aussi les personnes dont la poitrine n’est pas trop délicate pour résister au grand air, y acquièrent-elles bientôt une force et une santé peu communes. »

Charles Vallin : Pêcheur côtier maître de barque d’Étretat (Seine-Inférieure), in Les Ouvriers des Deux Mondes, n°58 bis, 1888, d’après une enquête menée en 1861

Les enfants nés à la fin du Second Empire (1870-1871)

Le contexte national et local

La guerre avec la Prusse sonne le glas du Second Empire. Étretat se situe juste à la limite de la pénétration en Normandie des troupes ennemies, qui sont arrêtées aux portes du Havre ; la statue de la Vierge Noire, édifiée comme ex-voto à Graville en 1875, commémore cette halte. Le village d’Étretat a été brièvement occupé le 10 décembre 1870 ce qui causa un certain traumatisme aux habitants et fournit à Guy de Maupassant l’occasion de régler des comptes politiques avec le maire républicain d’alors, Martin Vatinel, dont la conduite fut pourtant irréprochable. Les naissances sont de plus en plus nombreuses : 88 en 1870 et 76 en 1871 ; les décès sont nombreux : 54 en 1870, 57 en 1871 mais le solde reste excédentaire. Au recensement de 1876, la population a dépassé la barre des 2000 habitants : les Étretatais sont désormais au nombre de 2033. La plupart d’entre eux (75,7 %) sont nés à Étretat. 47 % des habitants ont encore moins de 20 ans, tandis que 3,8 % seulement ont plus de 70 ans. Le village compte alors 11 octogénaires (soit 0,5 % de la population) et 3 nonagénaires. Les plus âgés, Marie Frémont, veuve Varin, et Jean Baptiste Vallin ont 92 ans.

Bains de mer à Étretat, tableau d’Eugène Le Poittevin 1866 (source : Wikipédia) ; Raymond Lindon a cru reconnaître Guy de Maupassant, le peintre Charles Landelle, le dessinateur Bertall et l’actrice Eugénie Doche parmi les protagonistes de la scène

Au total, 159 personnes sont nées à Étretat entre le 1er janvier 1870 et le 31 décembre 1871 (dont 5 enfants mort-nés). Nous avons pu retrouver la date du décès pour 119 d’entre elles (76 hommes et 43 femmes). Du fait du changement de statut du village, devenu station balnéaire en vogue, quelques-uns de ces individus ne sont que des Étretatais de hasard, nés lors d’une résidence momentanée de leur mère à Étretat, comme ce fut le cas pour le philosophe Élie Halévy, qui était le fils du librettiste attitré d’Offenbach.

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1870 et 1871

L’allure de la courbe de mortalité de cette génération est proche de la précédente ; la mortalité infantile atteint son maximum : 30 % des enfants meurent avant leur premier anniversaire, le plus fréquemment durant les premières semaines ou in utero. La mortalité juvénile n’a guère évolué ; elle touche surtout les filles. Les décès entre 5 et 10 ans sont peu fréquents, ils augmentent légèrement dans les tranches d’âge suivantes jusqu’à 30 ans. Parmi les décès des jeunes adultes, on relève le décès d’un matelot gabier de 22 ans à l’hôpital maritime de Brest et celui d’un journalier, condamné à quatre mois de prison pour vol en août 1897, déporté au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane en mars 1898 et décédé au mois de septembre à l’âge de 27 ans. Un nouveau pic de mortalité se dessine dans la tranche des 40-50 ans, surtout pour les hommes, en partie à cause de la Première Guerre Mondiale : deux Étretatais de 44 ans en sont les victimes. Comme pour la génération précédente, près de 25 % des individus sont morts entre 60 et 80 ans, mais ils sont de nouveau 12 % à dépasser les 80 ans, répartis à peu près équitablement entre hommes et femmes.

L’âge moyen au décès n’a pas bougé, il est toujours de 36 ans ; la médiane se situe à  31 ans.  L’écart entre les sexes se réduit : l’âge moyen des décès est de 35 ans pour les hommes et 37 ans pour les femmes ; l’écart est inversé pour la médiane : 36 ans chez les hommes, 27 ans chez les femmes.

Le doyen est un des « Étretatais de hasard » : Gustave Eugène Pierre Pierrang, mort à Paris en 1962 à 91 ans, n’a guère vécu à Étretat où son père, employé d’octroi, et sa mère, qui résidaient à Paris, se trouvaient en résidence momentanée lors de sa naissance. La doyenne, Marie Thérèse Abraham, morte en 1961 à l’âge de 90 ans, était la fille d’un capitaine au long cours dieppois, lui-même décédé à 80 ans ; le grand-père paternel de Marie Thérèse a quant à lui atteint l’âge de 87 ans.

Les enfants nés au cœur de la Belle Époque (1890-1891)

Le contexte national

Le régime républicain s’impose désormais auprès des catholiques et des conservateurs ; la IIIe République surmonte la crise politique du boulangisme, un mouvement populiste comparable à ce que sera le péronisme en Argentine. La France étend ses colonies en Afrique occidentale. La situation économique est florissante et les inventions techniques se succèdent.

Le contexte local

Étretat est à l’apogée de son succès auprès des élites parisiennes et de la bourgeoisie ; le train arrive en 1895 et déverse, de fin juin à mi-octobre, les familles et les individus qui viennent remplir villas, hôtels et chambres d’hôtes, s’adonner aux plaisirs de la baignade, du Casino et du tennis. La vie mondaine est rythmée par les fêtes privées et publiques et par les évènements sportifs (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2023/08/01/la-belle-epoque-etretat-avant-guerre/).
La fête se termine en revanche pour Guy de Maupassant, de plus en plus malade et qui meurt à Paris en 1893. Trois ans plus tôt, Eugène Parmentier, sous-chef de bureau au Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, avait publié à Paris son ouvrage : « Étretat, son origine, ses légendes, ses villas et leurs habitants ». Du point de vue démographique, le village est encore dans sa période faste, malgré la légère diminution du nombre des naissances (63 en 1890,  68 en 1891, 56 en 1892, 56 en 1893, 70 en 1894) et un nombre de décès encore important : 44 décès en 1890, 50 en 1891, 42 en 1892, 36 en 1893, 54 en 1894. Le recensement de 1891 dénombre 2015 individus (dont 6 étrangers), chiffre à peu près stable. Les moins de 20 ans représentent 44,3 % de la population. 4 % ont plus de 70 ans ; les octogénaires sont au nombre de 15 (soit 0,7 % de la population). Il n’y a qu’une nonagénaire, Constance Hauchecorne, veuve Chapelle, qui annonce 90 ans.

La gare d’Étretat, inaugurée le 22 juin 1895

Au total, 131 personnes sont nées à Étretat entre le 1er janvier 1890 et le 31 décembre 1891 (dont deux enfants mort-nés). Nous avons pu retrouver la date du décès pour 114 d’entre elles (61 hommes et 53 femmes). Le nombre de personnes ayant passé toute leur existence à Étretat est de moins en moins important.

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1890 et 1891

La courbe de mortalité a changé par rapport à celle des enfants nés en 1870-1871 ; étonnamment, elle se rapproche de celle des enfants nés près d’un siècle plus tôt. La mortalité infantile a enfin baissé (en partie grâce à la diminution du nombre d’enfants mort-nés) mais ce sont encore 13 % des enfants qui ne dépassent pas l’âge d’un an. La mortalité juvénile est encore notable (6 % des enfants meurent entre 1 et 5 ans). Comme on a pu souvent le constater auparavant, la mortalité est très faible entre 5 et 10 ans et augmente ensuite jusqu’à un deuxième pic entre 20 et 30 ans. Ce pic est accentué par les circonstances historiques : 5 des 8 individus décédés dans cette tranche d’âge sont des victimes de la Première Guerre Mondiale. La petite-fille de l’un d’entre eux, Catherine Bailleul, a consacré une étude à son grand-père sous le titre « Léopold Vatinel (1890-1915), un pêcheur d’Étretat dans la Grande Guerre » (manuscrit inédit).
L’âge de 50 ans représente un nouveau cap périlleux : 13 % des individus de cette génération sont décédés entre 50 et 60 ans. Ceux qui dépassent 70 ans représentent désormais 40 % (39 % des hommes, 41,5 % des femmes) et ils sont même 25 % à dépasser 80 ans. C’est désormais la tranche des 80-90 ans qui regroupe le maximum de décès. Plus de 5 % des individus nés en 1890 et 1891 sont devenus nonagénaires (deux hommes et quatre femmes).

L’âge moyen du décès a fortement augmenté, en toute logique, et s’établit à un peu plus de 52 ans (médiane : 61 ans). La moyenne est à peu près identique quel que soit le sexe : un peu moins de 52 ans pour les hommes, un peu plus de 52 ans et demi pour les femmes. La médiane est en revanche plus élevée pour les hommes (64 ans) que pour les femmes (60 ans).

La doyenne de cette génération, Isabelle Clara Hélène Leleu est décédée à Fécamp en 1987, à l’age de 96 ans ; elle a survécu un demi-siècle à son mari (qui avait treize ans de plus qu’elle). L’homme le plus âgé, Robert Charles Eugène Aubry, ne vient qu’en 4e position ; il est décédé à Lillebonne en 1985, à 94 ans et 3 mois. Sa mère était décédée à 86 ans mais son père n’avait vécu que 39 ans.

Les enfants nés à l’aube d’un nouveau siècle (1910-1911)

Contexte national et local

Le début de la décennie 1910 se place encore sous le signe de la Belle Époque, qui vit alors ses dernières années. Étretat est encore le refuge de la bonne bourgeoisie parisienne et normande. Le golf est créé en 1908. Le recensement de 1906 fixe à 2024 habitants la population étretataise, dont 67, 8 % sont nés à Étretat. 40 % des habitants ont moins de 20 ans, tandis que 5,1 % ont plus de 70 ans. Le village compte alors 26 octogénaires (soit 1,3 % de la population). Durant l’année 1910, 43 enfants sont nés à Étretat tandis que 31 Étretatais sont décédés durant la même période ; l’âge moyen des décédés était de 41 ans et demi (âge médian : 43 ans) ; ils étaient nés entre 1817 et 1910.

La plage au début du XXe siècle (carte postale expédiée en 1907)

Au total, 88 personnes sont nées à Étretat entre le 1er janvier 1910 et le 31 décembre 1911 (dont 4 enfants mort-nés). Nous avons pu retrouver la date du décès pour 82 d’entre elles (51 hommes et 31 femmes).

Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1910 et 1911

Les taux de mortalité infantile et de mortalité juvénile n’ont guère changé par rapport à la génération précédente : 17 % des enfants sont morts avant leur 1er anniversaire –chiffre en légère augmentation- et près de 4 % sont morts entre un et cinq ans (pourcentage en légère diminution). La suite de la courbe est assez semblable à celle de la génération précédente : un deuxième petit pic de mortalité touche les jeunes adultes, puis une troisième augmentation des décès survient après 50 ans. Dix pour cent des individus sont décédés entre 50 et 60 ans et dix-sept pour cent sont décédés entre 60 et 70 ans. 41,5 % ont dépassé 70 ans (39 % des hommes, 45 % des femmes). Les Étretatais(es) qui ont dépassé 80 ans représentent 28 % de l’effectif et le nombre des nonagénaires est encore en progression (8,5 %). Parmi ces derniers figure Charles Thomas, né en 1910, mort en 2000 et qui a été distingué par la municipalité d’Étretat pour son appartenance au groupe de résistance Alliance.

L’âge moyen du décès a encore progressé, il est de 55 ans (médiane : 65 ans). Il est supérieur pour les hommes : 57 ans, contre 52 ans et demi pour les femmes mais le rapport s’inverse si on considère la médiane, qui est de 64 ans pour les hommes et 69 ans pour les femmes. Ceci s’explique par le fait qu’il y a eu plus de mortalité infantile mais moins de décès de jeunes adultes chez les femmes.

Le doyen est un homme, Robert Roland Francis Hauville, mort à Mont-Saint-Aignan en 2007 à 96 ans et demi ; son père, qui fut menuisier puis fabricant d’eaux gazeuses à Étretat, est mort à 89 ans ; ses sœurs sont mortes à 94 ans et 95 ans, son frère Raymond est mort en déportation en Allemagne en 1943. La doyenne s’appelle Simone Marguerite Fernande Serviat ; son père, né à Paris, était employé du casino à Étretat avant la Première Guerre Mondiale ; elle est morte à Paris à l’âge de 95 ans et demi.

Les enfants nés durant les Années Folles (1920-1921)

Le contexte national et local

Paul Deschanel succède brièvement à Raymond Poincaré à la présidence de la République. Au Congrès de Tours, les communistes quittent la SFIO. Dans ces années qui suivent de près la Première Guerre Mondiale, Étretat se remet de la perte de plus de 70 jeunes hommes tombés durant le conflit, dont 52 étaient natifs d’Étretat (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/05/20/graves-dans-la-pierre-les-monuments-aux-morts-etretatais/). D’après le recensement de 1921, la population étretataise était descendue à 1740 habitants (-284 par rapport à 1906), dont près de 58 % étaient nés à Étretat –chiffre également en diminution. Cette population était encore relativement jeune puisque 34,6 % des habitants avaient moins de 20 ans ; les plus de 70 ans représentaient une petite frange de la population (6,8 %) (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2022/06/14/des-annees-folles-aux-annees-30-etretat-dans-lentre-deux-guerres/). Durant l’année 1921, 38 personnes sont nées à Étretat et un nombre presque identique de résidents étretatais (37) sont décédés, soit un taux de mortalité de 21,26 pour 1000 habitants ; l’âge moyen des décédés était de 44 ans (âge médian : 53 ans). Ces chiffres ne sont cependant pas très significatifs en raison de la faiblesse des effectifs. Les mêmes calculs, effectués sur les 27 décès de 1920, donnent des résultats très différents (âge moyen des défunts : 53 ans, âge médian : 68 ans). Pour mémoire, les individus décédés en 1920 étaient nés entre 1829 et 1920 et les défunts de 1921 étaient nés entre 1835 et 1921.

Pyramide des âges de la population étretataise en 1921
Pourcentage des décès par classe d’âge pour les enfants nés en 1920 et 1921

Entre le 1er janvier 1920 et le 31 décembre 1921, 77 personnes sont nées à Étretat (en comptant 5 enfants mort-nés). Cinq d’entre elles sont décédées à une date inconnue. Les 72 autres se répartissent de façon à peu près égale entre hommes et femmes. La moyenne de leur durée de vie est de 56 ans et demi mais en raison d’une mortalité infantile encore élevée l’âge médian au décès monte à 68 ans. En effet, 5,5 % des enfants déclarés à l’état-civil étaient mort-nés ; 12,5 % des enfants (mort-nés inclus) n’ont pas atteint leur premier anniversaire. 4 % sont encore décédés entre un et cinq ans. La mortalité diminue ensuite chez les enfants et les adolescents. Elle reprend ensuite légèrement entre 20 et 40 ans : 4 % meurent entre 21 et 30 ans et encore 4 % meurent entre 31 et 40 ans. Le nombre de décès augmente ensuite régulièrement de 50 à 79 ans, la catégorie 71-80 ans regroupant le maximum de décès (21 %). Les octogénaires représentent encore 12,5 % des décès. Enfin, la même proportion (12,5 %) a dépassé l’âge de 90 ans. On compte même un centenaire dans cette génération.

La longévité varie beaucoup entre les hommes et les femmes. La moyenne de l’âge au décès de cette génération est de seulement 46 ans pour les Étretatais mais de 66 ans pour les Étretataises, les médianes étant de respectivement 53 et 75 ans. Cette différence est due à une mortalité infantile et juvénile supérieure chez les hommes : 26 % des garçons n’ont pas dépassé l’âge de 5 ans, contre seulement 13,5 % des filles. La mortalité est aussi supérieure entre 20 et 50 ans (19 % des hommes, moins de 3 % des femmes). La répartition s’équilibre pour les septuagénaires (19 % des hommes et 22 % des femmes de cette génération meurent entre 70 et 79 ans). En revanche, les octogénaires et les nonagénaires sont presque trois fois plus nombreux chez les femmes que chez les hommes né(e)s en 1920 et 1921.

On compte un centenaire dans cette génération : Raymond Louis Bon Lepoittevin est décédé à Bénouville en 2022 à l’âge de 100 ans et onze mois. C’était le fils d’un douanier originaire de la Manche, nommé à Étretat au début des années 1920. La doyenne, Anne Marie Paule Santais, qui était la fille d’un agent d’assurances havrais et d’une bretonne, est morte en 2019 à 97 ans et demi, à Drancy, en banlieue parisienne, où elle vivait.

Plus longue la vie

Que conclure de cette plongée dans les archives de l’état-civil étretatais ? En premier lieu, il faut nuancer la représentation d’un progrès continu de l’espérance de vie ; celle-ci semble régresser pour les générations nées autour du milieu du XIXe siècle. Est-ce dû aux changements des conditions de vie apportés par la mutation socio-économique d’Étretat ? Ou bien l’explication est-elle d’ordre génétique, la proportion d’enfants nés d’Étretatais de souche étant corrélativement en forte diminution ? Ce sont les générations nés à la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant qui bénéficient réellement de l’allongement de la durée de vie au-delà de 80 et 90 ans pour un nombre croissant d’individus.

L’autre point à souligner, c’est l’importance de la mortalité infantile et, à un moindre degré, de la mortalité juvénile, et ce jusqu’à une date relativement tardive ; il est vrai que nous avons inclus les enfants mort-nés (mortinatalité) dans le calcul de la mortalité infantile, ce que ne font pas les démographes. Cette forte mortalité des plus jeunes plombe les moyennes de l’espérance de vie. Si l’on veut se faire une meilleure idée de la longévité étretataise et de son évolution, il faut faire abstraction de la mortalité infantilo-juvénile ; en ne considérant que les individus ayant dépassé leur 5e anniversaire, le pourcentage de ceux qui sont morts à plus de 70 ans s’établit à :

  • 32,6 % des individus nés en 1730 et 1731 ;
  • 41,3 % pour la génération née entre 1780 et 1783 ;
  • 36,9 % pour les Étretatais(es) né(e)s en 1830-1831 ;
  • 24,1 % pour les Étretatais(es) né(e)s en 1850-1851 ;
  • 30,3 % pour la génération née en 1870 et 1871 ;
  • 50 % des individus nés en 1890 et 1891 ;
  • 52,3 % pour les individus nés en 1910 et 1911 ;
  • 56,9 % pour les individus nés en 1920 et 1921.

C’est probablement l’espérance de vie assez remarquable de la génération née à la veille de la Révolution Française qui valut aux Étretatais(e)s leur réputation de longévité auprès de leurs contemporains de la seconde moitié du XIXe siècle.

Pour en savoir plus

  • Bruno DELARUE : Les peintres à Étretat, 1786-1940. Édition Bruno Delarue, 2005.
  • Alphonse KARR : Histoire de Rose et de Jean Duchemin, nouvelle édition. Édition Calmann-Lévy, 1880.
  • Jacques-Élie de LAMBLARDIE : Mémoire sur les côtes de la Haute-Normandie comprises entre l’embouchure de la Seine et celle de la Somme, considérées relativement au galet qui remplit les ports. Imprimerie Faure, Le Havre, 1789.
  • Raymond LINDON : Étretat, son histoire, ses légendes. Les éditions de Minuit, 1963.
  • Roland PRESSAT : Démographie statistique. Presses Universitaires de France, 1972.
  • Alfred SAUVY : Éléments de démographie. Presses Universitaires de France, 1976.
  • Jacques VALLIN : Reconstitution de tables annuelles de mortalité pour la France au XIXe siècle. Population, 1989, tome 44, n° 6, p. 1121-1158.
  • Jacques VALLIN : La démographie. Éditions de la Découverte, 2002.
  • Jacob VENEDEY : Yport et Etretat en 1837. Recueil d’articles de 1838 traduits et annotés par Brianchon, 1861.

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