Santé et solidarité : la Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat

Avant la création, en 1945, de la sécurité sociale conçue par le Conseil National de la Résistance, les sociétés mutualistes étaient le moyen le plus sûr de s’assurer contre les accidents de la vie ; en contrepartie d’une cotisation d’un montant supportable, les adhérents obtenaient la garantie de voir pris en charge leurs frais de santé et de recevoir une indemnité en cas d’incapacité de travail. Les mutuelles étaient le plus souvent organisées localement, par branche d’activité ou par métier. La Société de Secours Mutuel des Marins d’Étretat, fondée en 1874 par Charles Lourdel, en est une parfaite illustration. Elle fournissait aux marins et à leur famille une protection sociale ; elle gérait également un fonds de retraites, dont le solde créditeur s’accrut régulièrement (21.164,98 francs en 1904, 32.053,53 francs en 1911, 34.063,53 francs en 1921, 37.309,00 francs en 1931).

La Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat (qu’on appellera ici SSMME par abréviation) a été approuvée par arrêté du 3 septembre 1886, soit douze ans après sa création.

Imprimé des années 1930

Les sources

Des archives privées inédites, couvrant de façon discontinue la période 1874-1948, nous permettent de retracer l’évolution de la prise en charge sociale et surtout sanitaire des Étretatais(es), à l’époque où la pêche était encore une activité importante, qui concernait une part notable de la population puisque plus du quart des habitants étaient adhérents de la société avant la Première Guerre mondiale.

Bilan financier de l’année 1904

Les archives de la SSMME comprennent :

  • Un registre relié portant cette mention sur la page de garde : « Grand livre pour cotisations des membres honoraires et participants – Noms des nouveaux membres admis – Décès et démissions pendant l’année – Commencé  le 1er janvier 1905 – Cyrille Vatinel trésorier » ; rempli à la plume, il mentionne les nom et prénom des membres participants avec le montant annuel des cotisations individuelles pour la période 1905-1929 inclus, les compte-rendus financiers annuels pour la même période, la liste annuelle des membres honoraires, les nom, prénom et date de naissance des membres décédés, démis ou radiés et des membres admis annuellement de 1905 à 1929 ;
  • Un registre relié titré « Livre de souscription 2 » contenant les nom, prénom et adresse des souscripteurs avec les sommes versées pour les années 1874, 1875, 1876, ainsi que le bilan comptable de 1876-1877, la liste des membres honoraires de 1877 à 1904 avec le montant de leur contribution annuelle, les nom et prénom des membres participants avec le montant annuel des cotisations individuelles pour la période 1874-1904 inclus, les compte-rendus financiers annuels pour la période 1889-1904, les nom, prénom et date de naissance des membres décédés, démis ou radiés et des membres admis annuellement de 1890 à 1904, la liste de souscription des patrons de bateaux de 1887 à 1904 ;
  • Les comptes-rendus financiers annuels sous forme de feuilles volantes manuscrites ou/et de feuillets imprimés pour les années 1904, 1911 à 1929, 1932, 1933 ;
  • Un cahier d’écolier titré « Mouvements du personnel de la société 1911-1920 » ;
  • Les récapitulatifs mensuels ou trimestriels d’honoraires du pharmacien et du médecin mentionnant les sociétaires concernés, pour les années 1934, 1935, 1940, 1944 et 1945 ;
  • Les listes mensuelles des bénéficiaires de bons-maladie (dits aussi feuilles de visite), pour les années 1934-1936, 1940, 1944-1945 ;
  • Un carnet à souche de reçus à en-tête de la société, rempli de décembre 1943 à mars 1948 et un carnet à souche de reçus, rempli d’août 1947 à septembre 1948 ;
  • Divers reçus émanant de sociétaires, factures et reçus de pharmacien, ordonnances, factures d’hospitalisation, factures diverses, bons nominatifs délivrés aux sociétaires.


Un contexte national et régional favorable à la création des sociétés de secours mutuels

Les décrets parus durant le prologue du Second Empire en mars et avril 1852 et les lois du 11 juillet 1868 et du 20 décembre 1872 ont encouragé la création des sociétés de secours mutuels en leur procurant un certain nombre d’avantages.
Les sociétés approuvées jouissaient en effet de droits importants, tels que la location d’immeubles, la possession d’objets mobiliers, l’acceptation de dons et legs par simple autorisation préfectorale jusqu’à 5000 francs (et au-delà par décret), la jouissance gratuite de locaux mis à leur disposition par les communes pour les réunions, la fourniture de registres et livrets, l’exemption des droits de timbres et d’enregistrement, le versement des fonds libres -procurant un intérêt annuel de 4,5 %- à la Caisse des Dépôts et Consignations et à la caisse des retraites (avec le même taux d’intérêt), le versement de subventions proportionnelles de l’État, des assurances collectives en cas de décès, etc. (Bulletin des Sociétés de Secours mutuels, 1875, p. 29-30). Au 1er janvier 1860, le nombre de sociétés de secours mutuels en France était de 4083 (dont 2274 approuvées et 1809 simplement autorisées). Au 31 décembre 1873, ce nombre était passé à 5777 (dont 4194 approuvées et 1583 autorisées), ce qui représentait 828.941 sociétaires (dont 108.288 honoraires et 717.653 participants). Le capital des sociétés s’élevait à 17.068.762,56 francs au 31 décembre 1873. Pour la Seine-Inférieure, l’avoir des sociétés autorisées s’élevait à la même date à 207.770,87 francs (extrait du rapport du Ministère de l’Intérieur au Président de la République, 22 septembre 1874, ibid., p. 32-33).

Au 31 décembre 1874, année de la création de la SSMME, le nombre de sociétés de secours mutuels approuvées dans le département était de 60, ce qui classait la Seine-Inférieure en 17e position, loin derrière le Rhône (247), la Gironde (236), les Bouches-du-Rhône (234), la Seine (212) et le Nord (202) ; le nombre de sociétés autorisées était à la même date de 25 (le département de la Seine en comptait 272). Si le fondement de ces sociétés pouvait être d’ordre confessionnel (comme l’Émulation chrétienne de Rouen ou la Société des Dames israélites de Rouen), la plupart regroupaient les membres d’une même catégorie professionnelle (ouvriers de manufactures, instituteurs et institutrices, militaires, médecins, sapeurs-pompiers, sauveteurs, cantonniers, etc.) et l’assise géographique en était souvent la commune. La création étretataise était donc dans l’air du temps.

«  Le nombre des sociétés de secours mutuels, dans le département, est de 80.
L’actif disponible était :
Au 31 décembre 1875, de 705,246 fr. 04 c., et le nombre des membres de 19,428.
Au 31 décembre précédent, de 676,530 fr. 05 c., le nombre des membres de 20,317.

L’actif disponible s’est donc accru, en 1875, de près de 29,000 francs. Malheureusement, il y a une diminution de 889 dans le nombre des membres participants.
Les sociétés possédaient, au 31 décembre dernier, un fonds de retraite de 847,120 fr. 75 c., dont 260,638 francs sont affectés au service de 264 pensions. Le surplus (577,482 fr. 75 c.) est disponible, et le produit des intérêts qui s’ajoutent au capital.
La subvention spéciale accordée par le gouvernement, en 1876, aux sociétés qui ont fait, en 1875, un versement à leurs fonds de retraites s’élève à 12,169 francs.
Le crédit de 5,100 francs que vous accordez aux sociétés de secours mutuels est distribué annuellement par la commission départementale, à titre de témoignage d’intérêt de la part du conseil général, je vous propose de le maintenir au budget de 1877.
 »
Rapport du préfet au Conseil général de Seine-Inférieure sur les établissements de prévoyance, Bulletin des sociétés de secours mutuels, 1877, p. 171-172. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9798801n/f178.item

Des origines caritatives

Les membres fondateurs de la SSMME sont des personnalités du monde politique, artistique, ecclésiastique et financier fréquentant Étretat de façon plus ou moins assidue et jouissant d’une aisance financière généralement confortable :

  • M. Prosper BRINDEJONT
  • M. Georges BEAUGRAND
  • Mme de MIRAMONT, épouse DELAQUERRIÈRE
  • M. Victor DESFOSSÉS
  • M. DORUS
  • M. FAURE
  • M. & Mme Charles LOURDEL
  • M. & Mme Adolphe BOISSAYE
  • M. Charles GOGUEL
  • M. Émile GOGUEL
  • M. Eugène DOMANGE
  • M. BEAULIEU
  • M. Paul CASIMIR-PÉRIER
  • M. MIONNA
  • Mme OFFENBACH
  • M. Maurice de la PENHA
  • M. James REID
  • M. & Mme Léon ROUVENAT
  • M. Charles SAUTTER
  • Mme Albert YVER
  • Mgr Thomas LEMONNIER, évêque de Bayeux
  • M. l’abbé VALLIN
  • M. l’abbé Maurice JOUET

Charles Louis Lourdel (dit Biéval), qui fut l’initiateur de la société, était un chanteur lyrique né en 1829 à Arras (Pas-de-Calais) ; il épousa en 1864 une artiste peintre qui était la fille du joaillier Léon Rouvenat et d’Henriette Julie Christofle, cette dernière étant elle-même la nièce du fondateur de la célèbre maison d’orfèvrerie. Charles Lourdel s’associa à son beau-père et prit ensuite la direction de la maison Rouvenat, qui était une des plus réputées de son temps mais qui cessa son activité à la veille de la Première Guerre mondiale. Les beaux-parents de Charles Lourdel figurent tous deux dans la liste des membres fondateurs.

Parmi les mécènes de la Société, on retrouve à peu près les mêmes noms, auxquels s’ajoutent d’autres personnalités évoluant dans le même cercle, comme le montrent les listes annuelles des membres honoraires et des membres bienfaiteurs, qui constituent en quelque sorte le gotha étretatais, où se côtoient des représentants de l’aristocratie française ou étrangère, de la haute bourgeoisie juive, de grandes familles protestantes, des artistes français et des élus. Les étretatais en sont quasiment absents, en dehors d’une petite poignée de commerçants ou de notables. .

Liste des membres honoraires de 1874 à 1938 (la période de cotisation de chaque membre est indiquée entre parenthèses) ; sauf mention contraire, domicile principal situé à Paris
Liste des membres honoraires et bienfaiteurs de l’année 1938

Les dirigeants de la Société

La Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat coexiste, dans l’entre-deux-guerres, avec le crédit maritime d’Étretat, une autre société mutualiste dont nous avons déjà raconté l’histoire (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2023/01/04/une-banque-mutualiste-pour-les-pecheurs-etretatais-la-breve-histoire-du-credit-maritime-detretat/) et dans laquelle on retrouve quelques personnalités qui sont évoquées ici.

Portrait de Paul Casimir-Périer paru dans Le Panthéon de l’industrie du 29 mai 1897 (source : gallica)

Le premier président est Paul Casimir-Périer, armateur et banquier havrais, dont le père avait été président du Conseil et qui fut lui-même député et sénateur de la Seine-Inférieure ; Prosper Brindejont Offenbach, gendre du célèbre compositeur, est le vice-président. Les autres membres du bureau sont des marins étretatais : Cyrille Vatinel fils (1860-1939) est trésorier et le restera jusqu’en 1930. Léopold Paumelle est secrétaire jusque vers 1900.
En 1901, le susnommé Prosper Brindejont, qui avait été maire d’Étretat de 1892 à 1898, préside la société ; Edmond Guinand est vice-président, Cyrille Vatinel (fils) est toujours le trésorier, Léon Duclos (1862-1949) est le nouveau secrétaire et les administrateurs sont au nombre de trois : Jean Enault, Mathurin Acher et Joseph Dupont.
De 1921 au moins à 1925, l’industriel Henri Sarazin-Levassor -qui est durant cette période maire d’Étretat- préside la société ; le vice-président est un haut magistrat parisien, Georges Flory ; Cyrille Vatinel est encore trésorier, Léon Duclos est encore secrétaire ; trois administrateurs complètent le bureau : Joseph Duclos, Martin Beaufils et Joseph Recher fils.
Des changements interviennent dans le bureau en 1926 ; un poste de trésorier adjoint est créé et confié à Joseph Vatinel. Georges Flory succède à Sarazin-Levassor à la présidence de la société  comme à la tête de la mairie d’Étretat, tandis que la vice-présidence revient à Georges Bureau, député de la circonscription. Le reste du bureau est inchangé.
En 1931 Georges Bureau est président, A. Goineau assure la vice-présidence avec Léon Duclos père ; le trésorier est désormais Joseph Vatinel qui a succédé à Cyrille Vatinel. Gaston Vallin et Joseph Duclos sont secrétaires, Cyrille Vatinel, Léon Coquerel (1902-1960) et Barré, syndic des gens de mer, sont administrateurs.
En 1938 Georges Bureau est toujours président, A. Goineau et Léon Duclos père sont toujours vice-présidents, Gaston Vallin est toujours secrétaire. Lucien Vallin (1902-1997) est entré au bureau comme trésorier et Ernest Vatinel fils (1897-1976) est nommé trésorier adjoint. Les administrateurs sont désormais au nombre de cinq : il s’agit de Joseph Duclos, Cyrille Vatinel, Léon Coquerel fils, Ulysse Vatinel (1864-1952) et Carpentier, garde-maritime.
En 1942, le président est Mr Ehrhardt. Lucien Vallin est toujours trésorier.

Les adhérents

La liste annuelle des adhérents (dits « membres participants »), comme celle des membres honoraires et bienfaiteurs, est consignée dans un registre relié. On y trouve les noms des marins -chefs de famille ou célibataires- mais aussi les noms des veuves -et de quelques filles- de marins qui pouvaient continuer à cotiser. Les épouses et enfants d’ayant droit bénéficiaient également d’une protection sociale, moyennant une cotisation complémentaire. Leur nom n’est pas mentionné mais le nombre de personnes à charge des chefs de famille est parfois mentionné.

En 1874, la première liste d’adhérents compte 108 noms, dont ceux de 19 patrons de barque. On y retrouve les patronymes étretatais les plus répandus de l’époque : Vallin, Maillard, Vatinel, Coquin, Recher, Enault, Duclos, Lebaillif, Coquerel, Cauvin, Houlbrèque, etc. En 1880, le nombre d’adhérents est passé à 123, chiffre auquel il faut ajouter 95 épouses et 217 enfants à charge. En 1885, ils sont 167. En atteignant l’âge de 19 ans, les enfants mâles des adhérents rejoignent la société comme membres titulaires.

La SSMME poursuit sa dynamique d’accroissement jusqu’au début du XXe s. On recense 544 membres au total en 1889, 593 en 1899 et jusqu’à 604 membres en 1901, lorsque l’effectif maximum est atteint. Durant cette période, les démissions sont rares et les radiations sont surtout les conséquences des décès. Les admissions compensent largement les départs.

Liste alphabétique des 445 membres titulaires de la Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat entre 1874 et 1929 ; les principales familles de marins sont (dans l’ordre d’importance numérique) les Vallin, les Vatinel, les Recher, les Maillard, les Lebaillif, les Duclos, les Coquin, les Paumelle et les Coquerel

Des comparaisons peuvent être établies avec la société de secours mutuels de Sainte-Adresse, dont le rapport pour l’année 1885 a été publié par le Bulletin des sociétés de secours mutuels de 1886 (p. 364-372, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97977863/f380.item). Cette société comptait, au 31 décembre 1885, 71 membres honoraires et 205 membres participants (88 hommes, 88 femmes et 29 enfants). La société étretataise se situe donc à un niveau d’activité supérieur.

Au début du XXe siècle, la Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat coexistait dans le village avec d’autres sociétés mutualistes de prévoyance : la Société de Secours Mutuels des Ouvriers d’Étretat, qui fut présidée par Adolphe Boissaye, personnalité qu’on retrouve parmi les fondateurs de la société des marins, et la 863e section des Prévoyants de l’Avenir, une société civile de retraites nationale fondée en 1880.

La SSMME entretenait des rapports étroits avec la Vigie, qui était la société d’assurance des patrons de barque et qui assurait les imprévus matériels (avarie, cabestan,…). L’avoir de la Vigie avoisinait les 2500 francs. Le nom des armateurs inscrits à la Vigie figure dans les registres de la SSMME avec le montant des cotisations réglées entre 1887 et 1927. En 1912, 12 patrons de barques cotisaient pour un à quatre bateaux chacun (plus un canot généralement) et 9 autres cotisaient pour un canot seulement. En 1925, ils n’étaient plus que quatre à cotiser pour un bateau tandis que dix ne cotisaient que pour un canot.

Le bilan comptable : un déficit endémique compensé par la rente

La comptabilité de la SSMME est bien documentée par les archives que nous avons énumérées plus haut.

Le bilan financier des premières décennies de fonctionnement de la Société, pendant le dernier quart du XIXe s., est plutôt florissant, grâce aux dons généreux effectués par différents philanthropes et par les sommes versées annuellement par les membres honoraires, dont le contingent est constitué par les notabilités fréquentant Étretat (cf. ci-dessus).

Bilan financier du 3e exercice (1876-1877)
Bilan financier de l’année 1890

Dès 1911, le trésorier note une légère baisse des recettes, à cause de la diminution du nombre de membres cotisants et une hausse des dépenses, due à l’augmentation importante du versement des indemnités maladie et à l’élévation de la note du médecin.

Entre 1911 et 1928, les dépenses annuelles l’emportent systématiquement, bien qu’à des degrés divers, sur les recettes annuelles représentées par les cotisations des sociétaires, les dons et les subventions. Le déficit varie de 564,50 francs (en 1918) à 10671,15 francs en 1921. Seule l’année 1929 permet de retrouver l’équilibre, et même un certain excédent.

Ce qui permet d’équilibrer annuellement les comptes, c’est le recours presque systématique aux fonds libres, ce qui signifie un prélèvement dans le capital de la société, conservé par la Caisse des dépôts et consignations, organisme public auquel les sociétés de secours mutuels approuvées étaient tenues de verser leurs excédents disponibles, aux termes de l’article 13 du décret organique du 26 mars 1852. Des emprunts sont aussi effectués occasionnellement auprès de l’organisme « la Bouée de Sauvetage » (500,00 francs en 1914, 800,00 francs en 1915, 1000,00 francs en 1919).

Bilan financier de l’année 1920

En réalité, la situation financière n’est pas si mauvaise qu’il y parait car les bilans publiés n’intègrent pas les intérêts des capitaux placés, qui sont de l’ordre de 5000,00 francs par an, ce qui couvre bon an mal an la différence entre les recettes et les dépenses.

Les recettes proviennent principalement des cotisations des sociétaires et des dons et subventions diverses. Les dons occasionnels sont importants, ils proviennent de personnalités comme Charles Goguel, régent de la Banque de France, qui fut un donateur régulier, ainsi que d’élus locaux. S’y ajoutent les cotisations des membres honoraires et des membres bienfaiteurs, qui représentent une somme non négligeable, supérieure au total des subventions publiques et même supérieure aux cotisations des membres participants. Les subventions proviennent du département de la Seine-Inférieure (de l’ordre de 130 francs par an au XIXe s. et de 230 francs au XXe s., en moyenne[1]), de l’État (versée à partir de 1920 : de 686 francs en 1920 à 6505 francs en 1933) et de la commune (à partir de 1928). Le reste des recettes est constitué par l’organisation de fêtes caritatives révélatrices de leur époque : se succédèrent ainsi la fête de la Saint-Sauveur, la vente de la Petite Fleur, la fête du Casino et le bal des Cuisiniers. À partir de 1927, la distribution aux sociétaires de bons pour soins du médecin et du pharmacien constitue une nouvelle source de recettes.

Recettes de l’année 1902

Les dépenses sont représentées principalement par les honoraires du médecin et du pharmacien. Le médecin attitré, le Dr Paul Fidelin d’abord, puis son fils Robert à partir de 1911, perçoit des honoraires annuels, auxquels s’ajoute la rétribution de diverses opérations ou actes médicaux. Le pharmacien, d’abord Mr Leroy (jusqu’en 1902), Mr Rogers (brièvement), puis Mr Larcher jusqu’en 1920, son successeur Mr Horiot ensuite, perçoit une somme incluant un forfait annuel et la fourniture de divers articles en sus (bandages, etc.). Les indemnités journalières versées aux sociétaires pour chômage dû aux maladies représentent un autre poste de dépense parfois important pour la caisse de la société mais qui vient largement après les dépenses de santé ; les indemnités journalières se montaient, de 1911 à 1920, à 1,00 franc pour les hommes et le bénéficiaire touchait de plus 0,25 franc par enfant à charge et par jour. Seuls les hommes touchaient des indemnités, puisqu’il n’y avait pas de femmes exerçant la profession de marin. En revanche les frais d’accouchement étaient pris en charge, à un tarif forfaitaire incluant l’acte de la sage-femme et parfois des indemnités de chômage pour la parturiente. À partir de 1922, la société de secours mutuel cotise, pour les femmes, à la Mutualité Maternelle départementale. Un autre poste de dépenses est constitué par les frais d’inhumation (des hommes comme des épouses et veuves), qui sont pris en charge au tarif unitaire de 40,00 francs (au XIXe s.), de 50,00 francs (de 1907 à 1917) puis de 70,00 francs (à partir de 1918).  Les autres dépenses médicales sont représentées par les frais de spécialiste (presque exclusivement des frais d’oculiste), la radiologie, les frais d’hospitalisation et les actes chirurgicaux non opérés par le Dr Fidelin. Le dernier poste de dépense comprend les frais de fonctionnement (impression par le Mémorial Cauchois, fournitures auprès de la librairie Médrinal) et une indemnité annuelle (100,00 francs jusqu’en 1890 puis 150,00 francs ensuite) versées au trésorier (Cyrille Vatinel) et au secrétaire (jusqu’en 1914, et de nouveau à partir de 1927 pour ce dernier). Le trésorier adjoint perçoit la même indemnité en 1925 et 1926 seulement.

Dépenses de l’année 1898
Dépenses de l’année 1915
Facture du fleuriste pour une couronne mortuaire (1940)

[1] En 1906, les 267 sociétés approuvées du département de la SI ont bénéficié d’une somme totale de 51.579,00 francs de subventions, soit une moyenne de 193,00 francs par société, ce qui place la société étretataise un peu au-dessus de la moyenne (rapport sur les sociétés de secours mutuels pendant l’année 1906, présenté à M. le président de la République)


Le Rapport du ministère de l’Intérieur au Président de la République pour l’année 1873 donne des éléments de comparaison nationale sur la composition des recettes et des dépenses (Bulletin des sociétés de secours mutuels, 1875, p. 39, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97988022/f45.item) :
Recettes des sociétés approuvées.
Elles se subdivisent comme suit :
Souscriptions des membres honoraires 1.075.256 frs 38 c
Subventions, dons et legs 546.385 frs 93 c
Cotisations des membres participants 6.57.,318 frs 46 c

Droits d’entrée 193.630 frs 29 c
Amendes 142.491 frs 26 c
Intérêts des fonds placés 929.607 frs 07 c
Recettes diverses 535.507 frs 31 c
Total : 10.002.196 frs 70 c
Recettes des sociétés autorisées :
Souscriptions des membres honoraires. 145.131 frs 36 c
Dons manuels 254.100 frs 84 c
Cotisation des membres participants 3.220.606 frs 08 c
Droits d’entrée 86.826 frs 73 c
Amendes 141.138 frs 18 c
Intérêts des fonds placés 713.312 frs 67 c

Recettes diverses 345.393 frs 81 c
Total : 4.906.511 frs 67 c
Total ………………. 14.908.708 frs 37 c


Dépenses des sociétés approuvées :
Indemnités aux malades 2.690.772 frs 31 c
Honoraires aux médecins 1.228.717 frs 89 c
Médicaments 1.424.474 frs 70 c
Frais funéraires 422.685 frs 91 c
Secours aux veuves et aux orphelins 175.940 frs 01 c

Pensions d’infirmité et de vieillesse 663.088 frs 22 c
Versements aux fonds de retraites 722.522 frs 84 c
Frais de gestion 463.421 frs 77 c
Dépenses diverses 763.720 frs 49 c

Total : 8.555.344 frs 14 c
Dépenses des sociétés autorisées :
Indemnités aux malades 1.316.141 frs 22 c
Honoraires aux médecins 443.138 frs 85 c
Médicaments 568.990 frs 92 c
Frais funéraires 184.590 frs 42 c
Secours aux veuves et aux orphelins 194.992 frs 08 c
Pensions d’infirmité et de vieillesse 715.480 frs 17 c
Frais de gestion 261.642 frs 93 c
Dépenses diverses 451.158 frs 77 c
Affectation au fonds de retraites 6.891 frs 44 c

Total : 4.143.026 frs 80 c
Total……………… 12.698.370 frs 94 c
A déduire : Versements au fonds de retraites 729.414 frs 28 c
Total réel des dépenses 11.968.956 frs 66 c

L’excédant des recettes a donc été de 2.939.751 fr. 71 cent. En 1872, il ne s’élevait qu’à 2.222.001 fr. 58 cent., soit donc une augmentation de 717.750 fr. 13 cent. sur l’exercice précédent.

Cotisations.
Sociétés approuvées :
On comptait, au 31 décembre 1873, 9.008 membres honoraires, et leurs cotisations montaient à 1.075.256 fr. 38 cent., dont la moyenne est de 11 fr. 20 cent. par membre honoraire ; en 1872, cette moyenne n’était que de 10 fr. 80 cent., soit une augmentation de 40 centimes. Le nombre des membres participants était, à la même date, savoir :
Hommes : 429.968
Femmes : 83.401

Total : 512.982 (sic)
Leurs cotisations ayant atteint le chiffre de 6.579.318 fr. 46 c., la moyenne des versements est de 12 fr. 82 cent. par chaque sociétaire ; en 1872, elle était de 13 fr. 01 cent., soit une diminution de 19 centimes par sociétaire.
Sociétés autorisées :
145.131 fr. 36 cent. ont été payés par les 12.280 membres honoraires de ces associations, ce qui donne une cotisation moyenne de 11 fr. 82 cent. par membre honoraire. En 1872, elle était de 21 fr. 80 cent. ; il y a donc une diminution, en 1873, de 9 fr. 98 cent. par membre honoraire.
Les membres participants de ces sociétés étaient au nombre de :
Hommes : 180.971
Femmes : 23.701

Total : 204.671
Leurs cotisations ont fourni une somme de 3.220.606 fr. 08 c., avec une moyenne de 15 fr. 73 cent. par chaque sociétaire ; en 1872, elle était de 15 fr. 10 cent., soit une augmentation de 63 centimes par sociétaire.
D’où il résulte :
1° Que, dans les sociétés approuvées, la moyenne des cotisations de chaque membre honoraire est de 11 fr. 20 cent., et dans les sociétés autorisées, de 11 fr. 82 cent., soit la différence peu sensible de 62 centimes ;
2° Que la moyenne des cotisations de chaque membre participant, dans les sociétés approuvées, est de 12 fr. 82 cent., et de 15 francs 73 cent. dans les sociétés autorisées, soit encore une augmentation de 2 fr. 91 cent. pour les sociétés autorisées.

Un budget en forte augmentation après 1921

De 1897 à 1919, les dépenses -comme les recettes- augmentent peu ; elles sont même parfois en diminution, malgré le pic de dépenses de 1914 causé par l’entrée en guerre et ses conséquences : aides aux mobilisés, frais d’inhumation des soldats victimes du conflit, pensions aux veuves. En 1921, suite à la crise économique mondiale, les dépenses connaissent une brutale augmentation et les recettes ne suivent qu’avec difficulté. En dix ans (depuis 1911), le total des dépenses a plus que doublé. Il double de nouveau de 1921 à 1927. Le montant des indemnités est revu à la hausse pour tenir compte de l’inflation : l’indemnité journalière pour arrêt maladie double en 1921 et passe à 2,00 francs pour les hommes et à 0,50 franc par enfant à charge. Toutefois le nombre de bénéficiaires chute fortement après 1928.

Évolution des dépenses (en bleu) et des recettes annuelles -hors intérêts des placements- (en rouge) entre 1874 et 1938 (en francs)

L’évolution des dépenses est liée au coût des soins médicaux. Les honoraires du médecin sont stables jusqu’en 1920 (entre 1700 et 2700 francs par an). Ils augmentent de 175 % en 1921 pour redescendre un peu de 1922 à 1925. Ils reprennent ensuite leur progression pour culminer à près de 15000 francs en 1932. Les honoraires versés au pharmacien, qui n’étaient que légèrement supérieurs à ceux du médecin de 1911 à 1922, décollent en 1923 et se maintiennent constamment au-dessus de 10000 francs par an, atteignant 16288 francs en 1928, largement au-dessus de la rémunération du médecin. Il est difficile, dans ces augmentations, de faire la part respective de la majoration des tarifs des praticiens et de l’accroissement de la prise en charge des problèmes sanitaires mais il semble que la première cause soit prépondérante. En 1911, le pharmacien Larcher a perçu une rémunération de 5 francs pour chacun des 560 sociétaires (soit un forfait annuel de 2800 francs) et le Dr Fidelin a encaissé 1500 francs de rétribution forfaitaire annuelle (montant auquel s’ajoute le prix de quelques actes médicaux). En 1918 le forfait versé au pharmacien pour chacun des 407 sociétaires passe à 6 francs, soit 2424 francs ; s’y ajoute la facturation des préparations. L’année suivante c’est le forfait annuel du Dr Fidelin qui est porté à 1800 francs ; il grimpe à 3000 francs en 1921. En 1927 le mode de calcul change pour s’aligner sur celui du pharmacien et se base sur un forfait de 10 francs pour chacun des 365 membres (soit 3650 francs). À partir de cette même année, la société vend à ses adhérents des bons de médecin au prix de 2 francs chacun, ce qui ramène 202 francs dans les caisses de la société en 1927 et 1232 francs en 1928 ; ce système de distribution de bons est étendu en 1929 au pharmacien. Par la suite, les décomptes précis des prestations effectuées par le Dr Robert Fidelin dans les années 1930 montrent que la rémunération du praticien n’est plus forfaitaire mais déterminée par les actes réalisés ; les tarifs sont, en 1934 de 8 ou 12 francs –selon les patients- pour une consultation, 10 et 15 francs pour une visite à domicile, 20 francs pour une visite le dimanche, 30 francs pour une visite de nuit et 15 francs pour une visite le soir). En 1945 les tarifs étaient respectivement passés à 20 et 25 francs pour une consultation, 25 francs pour une visite à domicile, 40 francs pour une visite le dimanche, 50 francs pour une visite de nuit et 40 francs pour une visite le soir, soit une augmentation de 150 % en 10 ans.

Évolution des honoraires versés annuellement par la Société au pharmacien (en rouge) et au médecin (en bleu) entre 1889 et 1935 (en francs)

Le tarif de la sage-femme connaît également une légère augmentation au fil des années mais ceci n’a qu’un faible impact sur le budget : l’accouchement, tarifé à 8 francs en 1910, passe à 10 francs en 1919 et 15 francs en 1920. En 1935, les honoraires de la sage-femme (Madame O. Ivelin) sont de 200,00 francs pour un accouchement. En 1945 la sage-femme est Mlle O. Bellamy ; son tarif est le même.

Facture de la sage-femme pour un accouchement (1935)

Côté recettes, le montant des cotisations avait été établi, de l’origine jusqu’en 1886, à 6 francs pour les marins et 12 francs pour les patrons de barque. En 1887 s’y ajoute une cotisation de 3 francs pour les femmes, de 3 francs pour les filles de moins de 18 ans et les mousses et de 1 franc pour les autres garçons. Elle augmente ensuite pour s’établir, de 1896 à 1921, à 9,00 francs pour les hommes, 4,50 francs pour les novices (16 à 18 ans), les veuves, les femmes et les filles de plus de 18 ans et à 1,50 franc pour les garçons de moins de 16 ans et les filles de moins de 18 ans. En 1922, en conséquence de l’augmentation des tarifs médicaux, la cotisation double pour les hommes et passe à 18 francs ; elle passe à 6,00 francs pour les novices, 3,00 francs pour les garçons de moins de 13 ans, 10,00 francs pour les femmes, 6,00 francs pour les filles de 13 à 18 ans et 3,00 francs pour les filles de moins de 13 ans. En 1925, les cotisations augmentent de nouveau, de 66 % : elles sont désormais de 30 francs pour les hommes, 18,00 francs pour les femmes, 12 francs pour les enfants de 13 à 18 ans, 6,00 francs pour les enfants de moins de 13 ans. Nouvelle augmentation sévère en 1927 mais le détail n’en est pas précisé. Ces augmentations pèsent certainement sur le budget des ménages et, chaque année, quelques sociétaires sont démis faute de paiement de leur cotisation.

Évolution des recettes annuelles de la Société entre 1874 et 1938 (cotisations des membres participants en bleu, dons, subventions et cotisations des membres honoraires et souscripteurs en rouge, fêtes de charité, tombolas et quêtes en vert)

La cotisation versée à la caisse de la Vigie par les armateurs augmente également au fil des années : fixée à 6 francs par bateau et 3 francs par canot jusqu’en 1912, elle double en 1913 puis passe respectivement à 20 et 10 francs en 1923.

Appel à cotisation diffusé en 1945 par le garde-champêtre d’Étretat, Lucien Dupéroux

Un lent exode des familles

Cette augmentation des cotisations est contrecarrée, dans le bilan financier, par la diminution inexorable du nombre des sociétaires, qui n’est pas à mettre au compte du solde démographique naturel : les membres sortants pour cause de décès sont peu nombreux -sauf pendant la Première Guerre Mondiale- et sont compensés par les naissances d’enfants des sociétaires. En revanche le nombre de membres démissionnaires ou radiés l’emporte largement, dès 1911, sur le nombre des entrants. Les listes des membres démissionnaires exposent parfois les raisons des radiations, qui se partagent entre départ d’Étretat des marins et de leur famille -vers Le Havre principalement mais aussi Paris, Fécamp, ainsi que Dieppe, Rouen ou d’autres villes normandes- et sortie du milieu maritime, les deux causes pouvant se combiner. Les mentions d’enfants de sociétaires partant comme ouvrier au Havre sont nombreuses, de même que les jeunes filles partant d’Étretat à la suite de leur mariage. Dans d’autres cas ce sont des familles entières qui quittent Étretat. De 558 membres en 1911 (166 hommes adultes, 172 femmes adultes, 114 filles de moins de 18 ans, 9 novices de 16 à 18 ans et 97 garçons de moins de 16 ans), l’effectif passe à 498 en 1915, 456 en 1919, 409 en 1923 et 380 en 1926.

Membres admis en 1910
Membres décédés et démissionnaires de 1902 à 1904

Cette hémorragie des familles de marins est une expression du déclin de la pêche et de la transformation sociologique et économique d’Étretat.

Liste des membres de la Société entre 1934 et 1947, établie d’après les récapitulatifs mensuels des bons maladie ; les principales familles de marins sont alors les Vatinel, les Duclos, les Recher, les Vallin et les Coquerel ; elles habitent surtout dans les cours : rue Isabey, rue Prosper-Brindejont, rue Adolphe Boissaye, rue Anicet-Bourgeois, rue abbé Cochet, rue Mathurin Lenormand, rue Notre-Dame, rue Alphonse Karr

Chronologie de la société de secours mutuels

L’évolution de la SSMME entre 1874 et 1945 apporte de précieux indicateurs de l’évolution de la société étretataise ; parallèlement les documents annexes fournissent un éclairage unique sur l’état sanitaire de la population.

Les premières années sont imprégnées par l’esprit de philanthropie qui a présidé à la création de la Société. Les recettes sont abondantes : les sommes versées par la haute bourgeoisie fréquentant la station balnéaire, sous forme de cotisations annuelles ou de versements exceptionnels, dépassent largement les cotisations des adhérents. Ainsi, durant le 3e exercice budgétaire (août 1876-juillet 1877), les cotisations les membres participants (autrement dit les sociétaires bénéficiaires) représentaient 698,50 francs alors que la contribution des membres honoraires et des souscripteurs atteignait 2674,50 francs ; il faut y ajouter un don de Madame Offenbach de 1600 francs, sous forme d’obligations. Les quêtes et collectes organisées à l’occasion de festivités, à l’église et occasionnellement au temple protestant, constituent une autre source caritative. La Saint-Sauveur, fête des marins célébrée au mois d’août, était l’occasion parfaite pour collecter des fonds auprès des estivants, de l’origine de la société jusqu’à l’année 1900.
Côté dépenses, des secours sont occasionnellement apportés par la SSMME à certains membres, particulièrement aux veuves, en plus des indemnités de chômage régulièrement versées aux marins malades.
Les soins pris en charge, en dehors de ceux qui sont apportés par le médecin (le Dr Fidelin) et le pharmacien, comprennent des consultations d’oculiste, la fourniture de ceinture lombaire et de bains chauds.

Signe probable du tournant laïc pris par la municipalité étretataise dans les premières années du XXe siècle, les collectes de la Saint-Sauveur disparaissent en 1901 et sont remplacées, à partir de 1911, par la « vente de la Petite Fleur » et par des quêtes organisées par des associations laïques.
Quelques drames de la mer affectent la Société durant ces années : le naufrage du Nouveau Coriolan en 1891 et le naufrage du Notre-Dame de Lourdes en 1907 entraînent le décès de plusieurs membres.

La Première Guerre Mondiale se manifeste dans la vie de la société de différentes façons : des aides sont versées mensuellement aux mobilisés, pour un montant de 2766,50 francs en 1914. Ces aides aux mobilisés et aux prisonniers se poursuivent en 1915, 1916 et 1917. Ceci impacte fortement les finances de la société, qui présente un important déficit en 1914, obligeant les gestionnaires à recourir à un emprunt et à puiser dans les réserves financières. La baisse du nombre des sociétaires, amorcée en 1905, est accélérée par les décès de combattants (http://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/05/20/graves-dans-la-pierre-les-monuments-aux-morts-etretatais/) ; 21 inhumations sont prises en charge en 1915, contre cinq en 1914. En 1918, grâce à l’afflux de dons importants de Mrs Goguel, de Beaulieu et Maurice Jouet, l’exercice de l’année arrive presque à l’équilibre et il n’est pas, pour une fois, nécessaire de recourir aux fonds placés à la caisse des dépôts.

Les marins étretatais et la mobilisation en 1917

Les années 1920 sont marquées par la baisse continue du nombre des sociétaires et par les sévères augmentations des dépenses consécutives à la flambée des tarifs médicaux et paramédicaux. Dans ce contexte inflationniste, les augmentations des cotisations se succèdent rapidement, en 1922, en 1925 et en 1927. Sur le plan des soins, des frais d’opérations effectuées par des médecins havrais et des frais d’hospitalisation, ainsi que des frais d’analyse et de radiologie, apparaissent dans les dépenses à partir de 1920, montrant ainsi une meilleure prise en charge des patients étretatais. Des massages sont également pris en charge occasionnellement.

Ordonnance du Dr Fidelin, délivrée par la phamacie Horiot, probablement en traitement de troubles digestifs ; la lotion de glycérolé tartrique était préconisée pour calmer les démangeaisons causées par une dermatose ; les traitements médicamenteux étaient alors à base de préparations officinales, qui sont aujourd’hui presque complètement remplacées par les produits industriels des grands laboratoires pharmaceutiques.

L’Assemblée Générale du 13 novembre 1927 instaure un système basé sur la délivrance aux sociétaires de bons, nécessaires tant pour les consultations et visites médicales que pour la délivrance de médicaments. Ces bons sont à 2, 3 ou 4 francs jusqu’en 1940 et passent à 10 francs par la suite. Ils ont été délivrés au moins jusqu’en mars 1948.

Liste des mutualistes ayant perçu des bons maladie à 10,00 francs en mars 1944 ; la première colonne mentionne le n° d’ordre, la deuxième donne le n° de l’assuré
Bon délivré en octobre 1947

L’année 1929 marque une embellie financière pour la Société grâce à plusieurs dons substantiels et à des subventions exceptionnelles de la commune et de l’État. À partir de 1921, une fête donnée annuellement au Casino au bénéfice de la Société vient, de façon très laïque, remplir la fonction jadis remplie par la fête de la Saint-Sauveur : 300 à 600 francs sont ainsi recueillis chaque année ; le Bal des Cuisiniers, organisé durant ces « Années folles », est une autre source caritative de revenus.

Facture festive de 1930
Facture de 1931
Bilan financier de l’année 1938

Pour les années 1930 et 1940, les sources sont plus partielles mais aussi plus détaillées ; les relevés mensuels des actes médicaux permettent de suivre les fluctuations saisonnières de la morbidité et de mettre en lumière les traitements mis en œuvre par le médecin étretatais.

Nombre mensuel de patients de la Société reçus par le Dr Fidelin en 1934 et 1935
Nombre mensuel de consultations (en bleu) et de visites (en rouge) assurées par le Dr Fidelin en 1934 et 1935
Nombre mensuel de patients de la Société reçus par le Dr Fidelin en 1944 et 1945
Nombre mensuel de consultations (en bleu) et de visites (en rouge) assurées par le Dr Fidelin en 1944 et 1945

On apprend ainsi que le Dr Fidelin recevait entre 16 et 28 patients par mois en 1934, ce qui représentait, mensuellement, entre 11 et 41 consultations et entre 14 et 57 visites à domicile –à cette époque les médecins se rendaient encore chez les malades. Dix ans plus tard, la patientèle constituée par les sociétaires de la SSMME a bien diminué.
Durant le 3e trimestre 1945, le même praticien a vu 23 patient(e)s dans le cadre de 23 visites à domicile et de 49 consultations et a perçu pour cela 1690,00 francs d’honoraires. Il a en outre pratiqué durant cette période 8 interventions sur 7 patients distincts (prises de sang, injections diverses, traitement d’un panaris). Ces interventions représentaient 635,00 francs d’honoraires en sus. Pour la même période, le pharmacien Jean Horiot -dont l’officine se trouvait avenue de Verdun- a perçu 2489,15 francs d’honoraires pour la délivrance de médicaments aux sociétaires.

Relevé des soins dispensés aux mutualistes par le Dr Fidelin durant le 1er trimestre 1940 ; à cette époque, les médecins effectuaient des visites à domicile : 134 au total -dont 10 le dimanche, une le soir et une de nuit- pour seulement 29 consultations. On ne peut pas dire que de ce point de vue la prise en charge des patients se soit améliorée…
Relevé des sociétaires ayant bénéficié de produits pharmaceutiques durant le mois de juillet 1945
Évolution mensuelle (en francs) des dépenses pharmaceutiques (en bleu) et des bons maladie distribués (en rouge) entre septembre 1944 et août 1945
Prescription du 9 octobre 1947
Actes médicaux effectués par le Dr Fidelin entre 1934 et 1945 (liste partielle)
Par souci d’économie, les listes de bons de maladie ont été dactylographiées, après la Libération, au verso de formulaires utilisés par l’occupant allemand, comme ici pour la liste de novembre 1944..

En 1946, la société la Bouée, alors présidée par Ernest Vatinel, est liquidée et ses actifs sont versés à la société de secours mutuel des marins d’Étretat.

L’état financier de la SSMME durant l’immédiat après-guerre ne nous est connu que par une série de reçus : encaissement des bons maladie de décembre 1943 à mars 1948 (pour un total de 19.540,00 francs), cotisation des membres honoraires en 1946 (6725,00 francs), subventions de la commune (1000,00 francs pour l’année 1944, 2.000,00 francs pour l’année 1946, 6000,00 francs pour l’année 1947), produit d’une fête de bienfaisance en 1946 (1500,00 francs), don de Mr Lindon à l’occasion du mariage de son fils en 1947 (300,00 francs).

La Société de Secours Mutuels des Marins d’Étretat semble cesser son activité vers 1949. Les dernières archives disponibles datent de l’année 1948 (reçu de cotisation, en tant que membres honoraires, du Général Pététin en juin 1948 et de Mme Nicoletis (villa les Violettes) en septembre 1948).

Pour en savoir plus :

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