Polars à Étretat

Depuis quelques années, la mode est au roman policier régional et on a vu fleurir les collections noires dans des maisons d’édition régionales, comme « Polars en Nord » chez Ravet-Anceau, « les Polars » aux éditions alsaciennes Bastberg, la série « Polar Roure » des éditions du Roure en Auvergne, la série « Geste noir » des éditions de la Geste dans l’Ouest, etc. La télévision a suivi cette mode du roman policier de terroir, avec la série de France 3 : « Meurtres à… », lancée en 2013 et dont le septième épisode, diffusé en 2015, se déroule… à Étretat ! (https://www.youtube.com/watch?v=Id7MUAPxG6U)
De façon inattendue, des auteurs à succès ont émergé dans ce créneau, comme le nordiste d’adoption Franck Thilliez et le normand Michel Bussi.

Les atouts d’Étretat, pour un auteur de romans policiers, résident évidemment dans son décor naturel grandiose et dans la dangerosité potentielle de ses falaises. Le lieu qui a inspiré un des plus anciens romans à suspense français, « L’Aiguille creuse » paru en 1909, ne pouvait qu’attirer l’attention des candidats à la succession de Maurice Leblanc.

Petit tour d’horizon bibliographique, take a walk of the wild side !

Nota : Les lecteurs intéressés pourront se procurer plusieurs des ouvrages évoqués à la maison de la Presse « Les Trésors d’Arsène » 11 avenue Georges V à Étretat ou encore à Fécamp, à la librairie Banse (42 rue Alexandre Legros) et à la librairie Le Chat Pitre (1 Quai Bérigny) (publicités totalement gratuites).

Les grands ancêtres

Maurice LEBLANC : L’Aiguille creuse

« L’Aiguille creuse » fut d’abord publié en feuilleton dans le mensuel Je sais tout, ici le numéro du 15 décembre 1908

À tout seigneur, tout honneur ! Paru en 1909, ce roman culte, qui rassemble tous les ingrédients les plus propices à enfiévrer l’imagination : énigmes historiques, fortune cachée, chasse au trésor, souterrains mystérieux, a suscité un tel engouement qu’il a donné naissance au substantif « lupinien » et à toute une littérature dérivée, tantôt sur le mode du canular, comme l’opuscule publié par Raymond Lindon sous le pseudonyme de Valère Catogan (« La véritable identité d’Arsène Lupin ou le secret des rois de France », éd. de Minuit, 1955), tantôt plus fumeuse. Il existe même, depuis 1985, une Association des Amis d’Arsène Lupin (A.A.A.L.) dont le siège social se trouve à la mairie d’Étretat et qui réunissait, au 31 décembre 2023, 87 adhérents lupiniens et lupinologues… Près de 50 ans après la série télévisée de l’ORTF mettant en vedette le comédien Georges Descrières, la série Lupin diffusée de 2021 à 2023 sur Netflix avec Omar Sy pour vedette, a relancé la popularité du gentleman cambrioleur en même temps que la fréquentation de la station balnéaire, et ce grâce aux scènes tournées sur place en 2020, juste après la pandémie.

Georges Descrières dans la série télévisée de l’O.R.T.F., Étretat, mai 1973 (photo AFP)

Parmi les autres interprètes de Lupin à l’écran, on mentionnera, entre autres, Romain Duris dans le film de 2004, sobrement titré Arsène Lupin et qui mixe plusieurs des aventures du personnage ; plusieurs scènes ont été tournées à Étretat.

La grande innovation littéraire de Maurice Leblanc, introduite par L’Aiguille creuse, a été de mêler histoire et géographie pour bâtir -de façon suffisamment convaincante pour estomper la limite entre fiction et réalité- une énigme à décoder. Au point que certains visiteurs se demandent encore si l’aiguille d’Étretat est vraiment creuse…

Étretat apparaît dans une autre aventure d’Arsène Lupin, contée dans Les Huit coups de l’horloge (1923), tandis que La Comtesse de Caglisotro (1924) se déroule dans une commune littorale voisine, à Bénouville.

On ne saurait oublier de mentionner au passage Le Clos Lupin, villa construite à Étretat au milieu du XIXe s. et achetée par Maurice Leblanc en 1918 (adresse : 15, rue Guy de Maupassant) ; cette maison est ouverte au public depuis 1999, à l’initiative de la petite-fille de l’écrivain (https://www.normandie-tourisme.fr/sites-lieux-de-visites/le-clos-lupin-maison-maurice-leblanc/).

Le Clos Lupin, anciennement dénommée villa Le Sphinx

Quant à la géocache de l’Aiguille creuse, n’essayez pas de la retrouver, elle a été rendue inaccessible par les barrières de protection mises en place en bord de falaise… Mais que les adeptes du géocaching soient rassurés, il existe d’autres caches à découvrir à Étretat.


Georges SIMENON : Maigret et la vieille dame. Éd. Presses de la Cité, 1950, 188 pages

Couverture de l’édition originale

Étretat est le lieu central de l’intrigue dans cet ouvrage de l’écrivain belge, dans lequel le célèbre inspecteur de la P.J. est sollicité pour mener l’enquête sur l’empoisonnement d’une employée de maison. Le roman a été adapté dans deux téléfilms, l’un avec Jean Richard dans le rôle-titre, l’autre avec Bruno Cremer. Contrairement à Maurice Leblanc, Simenon n’était pas un habitué d’Étretat ; il avait séjourné dans la région fécampoise à plusieurs reprises, en 1925 et 1928-1929 en particulier, ce qui lui inspira le cadre de plusieurs de ses romans et nouvelles dont l’action se déroule à Fécamp, Le Havre ou Yport. Étretat est bien moins présent dans son œuvre et plutôt évoqué sous un nom d’emprunt.

Les éléments du décor de Maigret et la vieille dame sont tirés du souvenir des vacances estivales de 1925 à Étretat, en particulier la villa la Bicoque, vaste demeure située chemin des Pervenches et dans laquelle Simenon place l’action du roman (https://www.etretat.carnetsdepolycarpe.com/2020/11/09/les-villas-etretataises-et-leurs-noms-un-peu-de-geographie-sociale/).

« Il [Maigret] demanda à un livreur de lui indiquer la Bicoque, et on lui désigna un chemin qui serpentait en pente douce au flanc de la colline, bordé de quelques villas entourées de jardins. Il s’arrêta à une certaine distance d’une maison enfouie dans la verdure […].
Il poussa la barrière, qui n’était pas fermée, et, ne voyant pas de sonnette, pénétra dans le jardin. Nulle part encore il n’avait vu une telle profusion de plantes dans un espace aussi restreint. Les buissons fleuris étaient si serrés qu’ils donnaient l’impression d’une jungle et, dans le moindre espace laissé libre, jaillissaient des dahlias, des lupins, des chrysanthèmes, d’autres fleurs que Maigret ne connaissait que pour les avoir vues reproduites en couleurs vives sur les sachets de graines, dans les vitrines ; et on aurait dit que la vieille dame avait tenu à utiliser tous les sachets.
Il ne voyait plus la maison, dont, de la route, il avait aperçu le toit d’ardoise au-dessus de la verdure. Le chemin zigzaguait et, à certain moment, il dut prendre à droite au lieu de prendre à gauche, car il émergea, après quelques pas, dans une cour aux larges dalles roses […].
— Mme Besson est ici ?
Elle [une servante] se contenta de lui désigner des fenêtres à petits carreaux entourées de vigne vierge ».



L’héritage lupinien

* Louis GENDEBIEN : Les nouvelles confidences d’Arsène Lupin. Tome 1 : La momie introuvable ; Tome 2 : Un crime à Étretat. Éditions de Montpézat, 2019.
Louis Gendebien est un lupinophile belge, président de l’A.A.A.L. Il fait revivre dans ses romans les personnages des romans de Maurice Leblanc et l’auteur lui-même. Le surtitre est inspiré du recueil de Maurice Leblanc, Les confidences d’Arsène Lupin, publié en librairie en 1913.


* Michel BUSSI : Code Lupin. Éditions des Falaises, 2006, 186 pages.
Professeur de géographie à l’Université de Rouen, Michel Bussi est devenu grâce à ce premier ouvrage un auteur à succès, désormais publié en poche et traduit dans de nombreuses langues. Code Lupin est inspiré à la fois des aventures d’Arsène Lupin et du Da Vinci Code de Dan Brown. L’auteur, qui s’inscrit dans les pas de Valère Catogan -alias Raymond Lindon- tire profit de ses compétences géographiques et de sa connaissance de la Normandie pour renouveler le thème de la chasse au trésor, d’Étretat jusqu’aux limites de la Seine-Maritime. Le héros, le professeur Roland Bergton, spécialiste en « géographie ésotérique », accompagné de sa piquante étudiante préférée, Paloma Cortez, sillonne le Pays de Caux à la recherche du 4e trésor d’Arsène Lupin, décryptant les indices cachés par Maurice Leblanc dans ses différents romans et prenant à contrepied les interprétations suggérées, pour proposer sa propre résolution. Michel Bussi, comme les autres successeurs de l’illustre romancier, pousse à son paroxysme la confusion entretenue par ce dernier entre l’auteur et sa créature littéraire qui, tel un Golem, aurait pris son existence propre.
Les éditions des Falaises, qui ont publié cet ouvrage, ont été fondées à Fécamp en 2000 et son directeur est le libraire fécampois François Banse ; le siège social est désormais à Rouen.

« – Regardez à droite, le Clos Arsène Lupin ! Maurice Leblanc a acheté en 1918 cette villa. Elle s’appelait à l’époque Le sphinx.
Il gara sa voiture à cheval sur le trottoir.
– Le Sphinx ? remarqua Paloma. Toujours une histoire d’énigme ?
– Oui ! Il la rebaptisera par la suite Le Clos Lupin. Il y habitera tous les étés jusqu‘en 1939.  Il y écrira un nombre considérable de romans. Maurice Leblanc était amoureux de cette bâtisse. Il la surnommait « mon meilleur Lupin ». Il ne la quittera qu’en 1939, à cause de la guerre. Il mourra deux ans plus tard, à Perpignan, sans y revenir. On raconte qu’à la fin de sa vie, Maurice Leblanc était victime d’une peur mystérieuse. Il avait demandé aux gendarmes de venir garder sa maison. Il dormait avec des sabres à côté de son lit. Il ne se promenait qu’avec une canne à bout ferré.
– Il avait peur de quoi ?
– Il avait peur de Lupin, disait-on. De l’homme qui peuplait depuis trente ans ses insomnies.
Paloma frissonna.
– Une dernière anecdote, continua Bergton. Lorsque le fils unique de Maurice Leblanc quitta le Clos Lupin, en 1952, il cloua derrière lui une porte d’entrée, la porte par laquelle selon son père, Lupin venait s’introduire dans la maison. La porte est toujours close aujourd’hui, et l’on peut toujours observer les mêmes clous de fer…
 » (Code Lupin, p. 34 ; dans cet extrait, on n’est pas loin du Horla de Maupassant)

«- Un front de mer dévasté, commenta Bergton en désignant les immeubles cubiques et peu esthétiques construits après-guerre. C’est la même chose sur toute la côte. Les Petites-Dalles, Yport, Veules-les-Roses, Le Tréport. Autant de superbes vieux villages avec simplement une verrue : le front de mer !
– C’est la faute à la Seconde Guerre mondiale et aux bombardements…
– Oui… Oui et non. En Basse-Normandie, de Honfleur à Ouistreham, ils ont été touchés encore plus durement qu’ici… Mais ils ont tout reconstruit à l’identique. Chez nous, en 1945, c’était fini le tourisme. Personne n’y croyait plus. On a mis à la place les ports pétroliers, les usines automobiles et les centrales nucléaires…
– C’est un choix…
– Un non-choix plutôt… Que voulez-vous, Paluel n’est pas Plogoff… Allez, on grimpe !
il désigna du regard la porte d’Aval.
– On va rendre visite aux Demoiselles
. » (Code Lupin, p. 51)

Chambre des Demoiselles, mars 2005
Intérieur de la Chambre des Demoiselles en janvier 2022 ; sur la droite, les lettres DF, gravées en 1927 et qui jouent leur rôle dans l’énigme inventée par Maurice Leblanc ; la lettre D, vandalisée en septembre 2021, a été restituée en relief (https://actu.fr/normandie/etretat_76254/mystere-a-etretat-la-lettre-gravee-dans-la-falaise-a-la-demande-du-pere-d-arsene-lupin-a-disparu_45108957.html)

* Hervé COMMÈRE : J’attraperai ta mort. Éditions Pocket, 2012, 160 pages.
C’est le premier livre publié de cet auteur rouennais. Le héros, Paul Serinen -anagramme évident d’Arsène Lupin- est un malfrat solitaire dopé à la coke et à la vodka, plus cambrioleur que gentleman, qui a choisi une villa étretataise pour tanière. Malgré sa relative brièveté, le récit, mené tambour battant, a tous les attributs du thriller et réserve quelques surprises au lecteur.

« Le clerc m’emmena faire la visite. Au bout d’un chemin bordé d’arbres, il y avait une sorte de clairière et trois petites maisons en pierre qui se tournaient le dos les unes aux autres. La mienne était la première sur la droite, elle s’appelait La Sauvagère, j’aimais bien le nom. Cette du fond était occupée par un couple de retraités. La troisième était à louer depuis des lustres et, vu le loyer demandé, ça ne risquait pas de changer de sitôt. Tout ça à cinq minutes à pied du centre. Du centre d’Étretat et de ses falaises calcaires qui piquent dans la Manche.
(…) Tous les matins, j’allais courir sur la falaise, le long du golf. Je jetais toujours un regard à l’aiguille qui sortait des flots au passage. J’avais balancé mon téléphone à l’eau dès le début, en gardant quand même tous les numéros du répertoire. J’étais injoignable. J’étais surtout bien caché.
 » (J’attraperai ta mort, p. 28-29)


Chutes mortelles

Le décor des hautes falaises abruptes, désertes (parfois) et balayées par le vent (souvent) est particulièrement propice aux scènes dramatiques. Et c’est encore mieux à la mauvaise saison, par temps de pluie ou de brouillard.

* ALBÉDO : Le Poulpe. Les pourritures célestes. Éditions de la Baleine, 1998, 159 pages.
Étretat est la toile de fond du 138e roman de la célèbre série initiée en 1995 par Bernard Pouy et dont la particularité est d’être écrite par des auteurs chaque fois différents, le seul dénominateur commun étant son héros : Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, un enquêteur aux opinions anarchistes. Le nom de l’auteur est évidemment un pseudonyme.


* Gérard AVENEL : Chute mortelle à Étretat. Éditions Sydney Laurent, 2019, 184 pages.
Cet ouvrage est le 5e roman de cet auteur normand. L’éditeur, la société Sydney Laurent, qui pratiquait l’édition à compte d’auteur, a été mis en liquidation judiciaire en 2023 et son fondateur fut l’objet de vives attaques relatives à ses pratiques entrepreneuriales.



* Michel BUSSI : N’oublier jamais. Éditions Pocket, 2015, 544 pages.
La chute qui ouvre le roman se produit sur la falaise d’Yport et non sur celle d’Étretat, mais l’intrigue se déroule principalement entre Fécamp et Étretat.

« J’apercevais l’aiguille d’Etretat, droit devant moi. Elle ressemblait à un morceau de puzzle détaché de la falaise, à la pièce d’un mécanisme qui s’emboîterait dans la porte monumentale pour ouvrir je ne sais quelle cavité secrète.
(…) L’herbe des pelouses calcicoles dégivrait lentement, formant de minces rigoles d’eau froide qui plongeaient dans le vide en de minuscules cascades, creusant, seconde après seconde, des sillons ocre qui entaillaient la craie. Ce paysage d’éternité n’était qu’une illusion. La falaise était attaquée de toutes parts, eau, glace, pluie, mer ; résistait, pliait, cédait, mourait, sous les yeux de milliers de touristes qui ne percevaient pas le moindre changement dans le paysage.
Le crime parfait
.» (N’oublier jamais, p. 51-52)


* Philippe HUET : L’ivresse des falaises. Éditions Payot et Rivages, collection Payot/Noir, 2009, 345 pages.
Recueil de 13 nouvelles dramatiques au ton grinçant ayant pour décor la côte normande et le Pays de Caux, dans des lieux tantôt fictifs, tantôt réels, comme la 8e nouvelle « De fil en aiguille », et la dernière nouvelle (« Ne marchez pas au bord… ») qui se déroulent à Étretat.

« – Bah, il est tombé, chef, lâcha laconiquement le maréchal des logis Fenailloux, fraîchement muté de Périgueux.
Renoir réserva à son nouveau subordonné un regard apitoyé.
– Merci, grogna-t-il en levant les yeux vers le sommet.
Bien sûr qu’il était tombé andouille ! Comme trois, quatre autres chaque année. Chiffre moyen des accidentés. Enfin, des accidentés, pas vraiment… Plutôt des suicidés. Les hauteurs d’Étretat avaient la cote chez les dépressifs. Les fatigués de la vie, les chagrinés de l’amour ou les ruinés en affaires aimaient faire le grand saut ici. Avec ou sans bagnole, c’était selon. Mais de toute façon, cent mètres dans le vide, plus quelques ricochets sur les rochers, plus les galets pour parachever, il n’y avait pas moyen de se rater
. » (De fil en aiguille, p. 207-208)

« Il n’y a rien de plus triste qu’une falaise d’Étretat sous la flotte d’un ciel d’automne. Une grosse serpillère tendue à la verticale, avec ses vilaines taches, ses auréoles brunâtres, et ses rayures de saleté sur la craie. Rien à voir avec la blancheur virginale des cartes postales. C’est peut-être pour ça que les affligés choisissent toujours un temps de merde, couleur de leur vie, pour se balancer dans le vide. Ou alors la nuit. Celle d’aujourd’hui, car c’était une femme, a fait coup double. Temps de merde, et noirceur de la nuit. La brume, je vous en fais grâce, on va croire que je m’acharne… » (« Ne marchez pas au bord… », p. 333)

Philippe Huet, havrais de naissance et ancien journaliste à Paris-Normandie, met à profit sa connaissance profonde de la Normandie pour glisser quelques observations sociologiques qui font parfois de cet ouvrage un roman à clefs, comme dans le passage suivant :

« Raymond Dubri était un malin, un rusé, qui tenait la mairie depuis bientôt quinze ans en naviguant entre les contrastes. À Étretat, certains rêvaient d’un Luna Park, d’une lourde usine à touristes ; mais les héritiers, les « Vieux Galets », propriétaires des villas et de la tradition tenaient bon. Un complexe estival en bord de mer ? Pourquoi pas une mosquée avenue Foch ! Dubri louvoyait avec habileté entre l’autochtone de base et le privilégié de saison, malaxait la pâte des sentiments humains avec sa dextérité d’ancien boulanger. » (De fil en aiguille, p. 210)


* Boris SCIUTTO : Les malaises d’Étretat. Éditions Les Presses du Midi, 2023, 220 pages.
La scène représentée sur la couverture constitue le pont de départ de l’enquête menée par les gendarmes d’Étretat et par Maguy Roberti, une policière parisienne qui se trouve mêlée à cette affaire à son insu. L’auteur est fonctionnaire de police, ce qui se ressent indubitablement à la lecture de ce livre qui est son 6e roman. À noter que le titre astucieux est aussi celui d’un recueil de nouvelles de Patrick Leidet.

« – Gendarmerie d’Étretat, adjudant Mircovlar, j’écoute ! Oui… Bonjour… Oui… Oh merde ! Donnez-moi l’adresse (il avait piqué un vieux crayon qui traînait sur le bureau et prit quelques notes sur un reste de feuille découpée).
– OK, c’est noté, on arrive.
Retournant dans la salle de pause, il désigna un des collègues, qui rinçait sa tasse dans l’évier :
– Ridouzi ! Tu viens avec moi. On va rejoindre la police municipale en bas des falaises. Une gamine a fait le grand saut !
Le temps pour eux de gober une madeleine et d’avaler un café, la Mégane bleu foncé sortit de la caserne et, sirène et gyrophare enclenchés, gagna assez rapidement l’adresse indiquée par les agents de la ville.
À destination, au bout de la route, un parking en terre se terminant par des rambardes en bois et un panneau métallique noir aux écritures blanches indiquant : « Anse des Maturines Hauteur 68 m ». Une voiture de la police municipale, trois véhicules de pompier et un du SMUR ronronnaient. Deux autres, non identifiés, stationnaient à l’écart, vides de tout occupant.
Un des policiers municipaux, qui gardait les véhicules, reconnut Mircovlar et vomit intérieurement son mépris pour le militaire réputé strict et dédaigneux. Il vint malgré tout saluer les deux gendarmes et leur expliqua les prémices de la situation.
– Tout le monde est en bas, mon adjudant. Une jeune fille d’environ vingt ans ans s’est écrasée sur un rocher. Deux promeneurs l’ont trouvée ce matin pendant leur balade. J’allais faire identifier les deux véhicules pour savoir si l’un d’entre eux appartenait à la victime. 
» (Les malaises d’Étretat, p. 12-13)


* Valérie LYS : Le retour d’Arsène. Éditions du Palémon, Quimper, 2023, 155 pages.
Écrit par une femme médecin bretonnne qui a publié auparavant quelques romans policiers ayant pour cadre l’Ille-et-Vilaine, ce petit ouvrage, qui présente quelques maladresses d’écriture, réunit les deux thèmes majeurs du polar étretatais : l’énigme lupinienne et la chute meurtrière.
Les différents lieux d’Étretat sont détaillés (avec parfois quelques erreurs, comme la localisation de la Chambre des Demoiselles au pied de la falaise d’Amont, ou quelques enjolivements, comme les « boutiques d’artisanat locaux », qui risquent de causer quelques déceptions aux futurs visiteurs…) ; les protagonistes visitent ainsi, au fil de l’intrigue, le château des Aygues, le Clos Lupin, la gendarmerie, la chapelle Notre-dame, le monument Nungesser et Coli, les Jardins d’Étretat, le golf, le café des Roches Blanches.

« De la plage en contrebas, le commissaire Velcro, mains sur les hanches, leva la tête vers le sommet de la falaise. À ses pieds gisait un vieil homme, ou du moins ce qu’il en restait. Les déformations de son squelette ne laissaient aucun doute. Il avait fait le grand saut. L’homme était vêtu d’un pantalon de velours vert à grosses côtes, d’un pull ocre au col agrémenté de boutonnières de cuir et d’une paire de bretelles. Tout dénotait l’aristocratie du siècle passé. (…) Les badauds commençaient à s’attrouper. Velcro scruta la promenade qui s’étendait le long de la plage. Il s’imaginait le site plus vaste, d’après ce qu’il en avait si souvent vu dans les reportages, mais ce n’était tout au plus que cinq cents mètres de bord de mer, ponctués de part et d’autre par la falaise d’Amont et celle d’Aval. En revanche, le déchiqueté de ces roches était vraiment magistral. Tour à tour, pointe de flèche, lanceur interplanétaire ou gigantesque chat (sic) d’aiguille, les millénaires d’érosion, de tempêtes et de secousses sismiques avaient fait des falaises d’Étretat un site exceptionnel. » (Le retour d’Arsène, p. 7-8)


Publicité pour Les Jardins d’Étretat, aéroport de Roissy, mai 2024

« La circulation était dense dans les rues étroites et très fréquentées de la ville. Des échoppes de souvenirs avec leurs éternels bols, cirés jaunes et polos rayés bleu marine tentaient de grignoter davantage le bitume. Finalement, l’ambiance était très proche de celle de la Bretagne, pensa Velcro. (…) Ils remontèrent la rue Adolphe-Boissaye, passèrent devant le magnifique bâtiment, tout de bois ciselé, du marché couvert situé sur la place principale et hébergeant des boutiques d’artisans locaux, puis s’échappèrent vers la périphérie. De superbes propriétés défilaient de chaque côté de la route, toutes plus belles les unes que les autres avec leurs parcs cascadant vers la chaussée. Au bout de quelques minutes, le vieil homme indiqua un portail ouvert sur la gauche et fit signe au conducteur de s’engager dans l’allée qui débouchait sur un parc. Au centre trônait un véritable château, qu’il présenta comme étant celui des Aygues. » (Le retour d’Arsène, p. 12)


* Joseph MACÉ-SCARON : La falaise aux suicidés. Collection Terres sombres, éd. Presses de la Cité, 2022, 299 pages.
Journaliste politique et polémiste, Joseph Macé-Scaron est aussi l’auteur de plusieurs romans dont un, partiellement autobiographique, a fait l’objet d’une controverse pour suspicion de plagiat. La falaise aux suicidés est son premier roman policier. Le titre annonce la couleur : le classement d’Étretat dans les hot spots suicidaires est le fil rouge de l’intrigue, dont les ressorts dramatiques quelque peu décalés convoquent la touche de Fred Vargas (https://www.lefigaro.fr/vox/culture/joseph-mace-scaron-la-legende-noire-d-etretat-est-un-tabou-absolu-20221202). Le héros enquêteur, le capitaine de gendarmerie Guillaume Lassire, fera sa réapparition dans le roman suivant de l’auteur, La Reine jaune ; le nom de sa comparse, Paule Nirsen, est encore un clin d’œil lupinien. La description des lieux est précise et documentée ; certains passages confèrent même à l’ouvrage l’aspect d’un roman à clef.
L’ouvrage a été publié auparavant sous le titre « Les disparus d’Étretat » dans la collection Crimes en hexagone.

« Tout d’abord retentit la longue sirène stridente du marché couvert d’Étretat. Un coup annonçait que les camionnettes et les étals des commerçants avaient pris place autour des halles en bois.
Deux coups alertaient sur la découverte d’un corps au pied de la falaise par un promeneur ou par un plaisancier ayant aperçu de sa périssoire une forme humaine disloquée.
Survint le deuxième coup.
Aussitôt suivi de la sirène des pompiers, et même les horsains comprirent qu’un drame se jouaient derrière l’arche ogivale qu’ils étaient si fiers d’avoir prise en photo avant que le temps se dégrade
. » (prologue du roman La Falaise aux suicidés, p. 9)

« Le maire voulait en finir avec cette légende noire. Lorsqu’il avait été élu, il n’avait pas caché sa joie d’avoir évincé les vieilles familles de Rouen, du Havre ou de Paris qui, du haut de leurs vastes demeures aux allures de faux manoirs perchés sur les deux collines de la station, dictaient leurs lois comme si elles étaient toujours au XIXe siècle. Son élection, c’était la revanche, après plus d’un siècle, de ses ancêtres pêcheurs et maraîchers qui avaient vu débarquer des snobs dont les femmes portaient crinolines, bottines et ombrelles jusque sur la plage de galets(…) Le temps que l’on avait appelé par antiphrase « la Belle Époque » était désormais révolu ! Il fallait aller de l’avant. Et de fait, dès la première année de son mandat, il s’était attelé à dé-mo-cra-ti-ser. Entendez par là qu’Étretat était devenue une station familiale assez semblable à celles qui s’étaient développées le long des côtes bretonnes ou picardes. C’était son devenir et il n’y en avait pas d’autres. Cette ville ne pouvait pas, ne devait pas se résumer à sa falaise aux suicidés. » (La Falaise aux suicidés, p. 14)

« L’idée lui vint d’aller faire des courses pour préparer à déjeuner, ce qui lui prit une bonne heure. La plupart des magasins d’alimentation dont elle se souvenait avaient fermé, à présent remplacés par des boutiques de souvenirs. Il était difficile d’acheter du pain mais pas des gaufres au miel, de l’eau mais pas du Meuh Cola. Paule finit par trouver son bonheur dans le Carrefour City du centre-ville, où elle se sentit chez elle puisqu’il était semblable à tous les Carrefour de France et de Navarre à l’exception d’une vente promotionnelle de pommeau. » (La Falaise aux suicidés, p. 65)



* Marc MONIOT : Les vues de l’esprit. Édilivre, 2025, 338 pages.
Dans ce roman qui se déroule à travers la Normandie, Étretat est la première étape criminelle. Marc Moniot est un écrivain assez prolifique, qui situe ses intrigues entre le Nord et la Normandie, deux régions qu’il connaît bien. Il est aussi photographe et la singularité des couvertures de ses ouvrages est d’utiliser très souvent sa compagne comme modèle. Notons au passage que la première victime, dans le présent ouvrage, est un photographe.


* Robert VINCENT : Clou d’éclat à Étretat. Éditions Corlet, 2007. 
On retrouve encore dans ce livre au ton plutôt burlesque le souvenir d’Arsène Lupin et de Maurice Leblanc, transposés ici -comme beaucoup d’autres noms- par d’inutiles jeux de mots potaches qui desservent le récit plus qu’ils ne l’agrémentent. Le pseudonyme de Robert Vincent cache un duo d’enseignants normands, Christian Robert et Vincent Lissonnet.
Les éditions Charles Corlet, implantées dans l’Orne depuis plus de 50 ans, sont spécialisées dans les ouvrages traitant de la Normandie.

« Le commandant de police Faidherbe avait décidé de considérer la Taverne des Trois Bénédictins comme le ventre d’Étretat. Sa silhouette encore élancée pour son âge -estomac excepté- de belle stature mais légèrement voûtée, s’était reflétée dans les grandes vitres du restaurant, avant de passer entre les deux fontaines de cidre qui en animaient l’entrée. Il s’était installé à la dernière table du fond. De là, il pouvait voir toute la salle en enfilade, les passants dans la rue, la place des halles, sans être dérangé par des voisins. (…)
Faidherbe était perdu dans ses pensées. Comment avait-on attiré Annabelle Tourte sur les falaises ? Quand des promeneurs avaient trouvé son corps écrasé sur les rochers au pied de la Grotte des Demoiselles, tout le monde avait cru à un suicide, avec un peu d’étonnement cependant. D’habitude les gens venaient d’ailleurs pour se jeter dans le vide. La jeune femme était d’ici. Pas exactement, avaient dit les plus chauvins, elle travaillait ici, elle n’y était pas née, nuance !
 » (Clou d’éclat à Étretat, p. 7-8)


* Stanislas PETROSKY : L’amante d’Etretat. L’Atelier Mosésu, collection Parabellum, 2016, 119 pages.
Ancien thanatopracteur, Stanislas Petrosky -alias Sébastien Mousse- est l’auteur de plusieurs romans policiers.  L’amante d’Étretat a pour point de départ la disparition en mer d’un véliplanchiste -thanatopracteur de profession- dont la compagne sombre dans la dépression. Stanislas Petrosky a lancé, sur le modèle du Poulpe, la série de l’Embaumeur, héros récurrent dont les 16 aventures parues à ce jour ont été écrites par des auteurs différents.
L’atelier Mosésu est une jeune maison d’édition à compte d’éditeur, dont le siège est à Saint-Romain-de-Colbosc, près du Havre.



« Elle grimpait fréquemment tout en haut de la falaise, elle allait jusque l’arche, elle passait la clôture et là, face au précipice, elle sentait le vent lui gifler le visage. Montait alors en elle une irrésistible tentation de prendre son envol pour rejoindre Frédéric, de fermer les yeux et de sauter dans le vide… Une grande chute, s’écraser sur les galets, puis plus rien, enfin le repos et le silence. Mais elle ne trouva jamais le courage d’aller jusqu’au bout de son geste, elle terminait l’ascension et s’effondrait en sanglots. (…)

Ils avaient, avec son mari, préparé tellement de ces corps délabrés, de ces désespérés qui n’avaient d’autre issue que de faire le grand saut afin que tous leurs soucis disparaissent, qu’elle ne pouvait imaginer son corps fracassé sur les galets, les membres brisés, la boîte crânienne éclatée. »  (L’amante d’Étretat, p. 52)


* Thierry LEPOIRE : Panier de crabes au Chaudron. Éditions Folle Brise, 2019, 342 pages.
L’auteur, havrais, a situé plusieurs de ses romans policiers dans sa ville natale. Celui-ci se déroule à Étretat, au cœur de l’hiver, et plonge le lecteur dans le microcosme du village. À noter que le siège des éditions Folle Brise, maison d’auto-édition, se situe à Étretat.

« – Joseph a disparu en mer et on a retrouvé le Belge, à cinq heures du matin, dans le « Trou à l’homme ». A mon avis, Joseph, on ne le reverra plus…
Le tenancier, en pleine illusion d’évidence, nous a parlé comme à des gars du cru… Je perçois, dans son regard, que nos tronches éberluées vont l’amener à se lancer dans plus de précisions.
– Le « Trou à l’Homme », c’est une excavation dans la falaise d’aval. Une sorte de grotte accessible à marée basse par le platier.
Ce n’est pas encore suffisamment clair pour mon acolyte.
– D’aval ?
– La falaise d’aval, c’est celle de l’arche et de l’aiguille. La falaise d’amont, c’est celle sur laquelle il y a la chapelle et la flèche de Nungesser et Coli.
Voyant que mon pote, dont l’horizon s’arrête à la banlieue mitoyenne du Havre, cale derechef sur Nungesser et Coli, je m’empresse de reprendre le fil pour couper court afin que nous ne nous perdions pas en conjectures.
– Ah oui, je me souviens de cette grotte, dis-je, je l’ai déjà traversée pour me promener sur les galets jusqu’à la Manneporte à marée basse. Il ne faut pas se faire prendre par la montée des eaux au retour… Qui est Joseph ?
– Joseph Affagard, c’est un marin pêcheur, une figure d’Etretat, un pilier, la mémoire du littoral, un homme extraordinaire. Un ancien Terre-neuvas. La cinquantaine bien tassée. Joseph est incontournable. Qui ne connaît pas Joseph dans le canton !
 » (Panier de crabes au Chaudron, p. 23)


* Véronique PETIT : Celle qui dit vrai. Éditions Rageot, 2024, 187 pages.
En dépit des allers-retours chronologiques, le récit se présente comme un journal intime, écrit à la première personne par une adolescente de 15 ans dont la mère est venue se réfugier à Étretat avec sa famille à la suite d’un désastre. L’autrice est assistante sociale et a commencé sa carrière d’écrivaine dans le domaine de la littérature jeunesse dont la maison d’édition Rageot s’est fait la spécialité.

« Je le regarde poser les assiettes, puis les verres, les couverts, vérifier la position de chaque couteau, l’orientation de chaque fourchette, c’est que ça ne plaisante pas. La concurrence est rude à Étretat. Une grande ride barre son front. J’ignore si c’est la concentration ou si c’est nous.
Je ne sais pas ce qu’il va faire de nous. Il est notre seule famille. Oncle Théo, quarante-sept ans, éternel célibataire, né à Étretat, vivant à Étretat, et qui mourra sûrement à Étretat. Son crâne lisse, ses grosses moustaches comme pour compenser sa calvitie, ses pulls en laine, sa bedaine. Sa petite vie tranquille, derrière les fourneaux de son petit restaurant. Une clientèle de touristes surtout. Fermeture les lundi et mardi. Pour la partie hôtel, c’est réglé. Depuis le drame, il a décidé de la fermer définitivement. » (Celle qui dit vrai, p. 22)


* Georges Daniel REBILLARD : Jean Tolbiac. Les falaises d’Étretat. Éditions Sydney Laurent, 2018.
Ce thriller atypique, qui prend la forme d’une biographie fictive, s’étend sur une large période historique. Venu du monde du cinéma, ancien élève de l’école supérieure Louis Lumière (comme Michel Houellebecq !) l’auteur injecte dans son écriture les procédés du 7e art.

« Le site est grandiose, les arches se découpent sur le bleu de la mer. Une légère brume adoucit le paysage. Une promenade sur les hauteurs des falaises leur permet de contempler des perspectives inoubliables : la Grande Arche, l’Aiguille Creuse… Jean, à son habitude, devrait évoquer Arsène Lupin, Maurice Leblanc, voir, en superposition, les tableaux de Gustave Courbet, Eugène Boudin ou Claude Monet. Il est silencieux, concentré. Ils marchent côte à côte sans dire un mot, essoufflés par leur escalade. Tôt le matin, pas un chat. Jean regarde bien à droite, à gauche, en bas. Pas âme qui vive.
Madison et lui ne se sont pas parlé.
― Viens voir Madison, là il y a une vue superbe… approche, n’aie pas peur !
Ils avancent sur le bord de la falaise. Il y a un à-pic impressionnant de 80 mètres !
Madison s’approche du bord.
Il n’y avait pas alors de protection de balustrade. Le fameux principe de précaution est venu bien plus tard. À cette époque, on se suicide toujours du haut de la Tour Eiffel ou du haut des Falaises d’Etretat.
Jean, soudain, la pousse avec ses deux bras de toutes ses forces.
Elle tombe.
La chute paraît durer une éternité. Au cinéma, si je réalise le film, je traiterai cette séquence au ralenti, comme l’accident de voiture dans les « Choses de la Vie ». Jean se dédouble toujours en cinéaste, cinéaste raté à cause d’elle. Mais là ce n’est pas du cinéma. Elle s’écrase sur la plage après une chute vertigineuse. » (Jean Tolbiac, les falaises d’Étretat)



* Marc VILLEMAIN : Il faut croire au printemps. Éditions Joëlle Losfeld, 224 pages.
Ce roman aux accents de thriller est à la limite du genre policier puisque l’auteur du crime est connu dès les premières pages et ne constitue que le point de départ d’une errance au ton de road-movie qui part d’Étretat, où le cadavre de la victime a été jeté. Parmi tous les auteurs ici énumérés, Marc Villemain est un des rares professionnels de l’écriture puisqu’il travaille dans le monde de l’édition. La maison Joëlle Losfeld, qui le publie, est rattachée au groupe Gallimard.


Étretat, au bout de la route

D’après l’abbé Cochet, l’étymologie d’Étretat serait à rechercher dans une appellation latine supposée : Stratae talus, qu’il traduit par « le bout de la voie »…

* René LE GAL : Le mystère d’Étretat. Éditions Alter Réal, 2023, 293 pages.
L’auteur est un enseignant du secondaire qui a publié quelques romans policiers ayant pour cadre la Côte d’Azur. Il quitte ici le Var pour la Normandie. Alter Réal est une jeune maison d’édition située dans la région Pays de la Loire.

« Symbiotek, ça vous dit quelque chose ?
– Le labo pharmaceutique, murmura Bercault.
Delauany approuva avec un peu de retard.
– C’est ça, reprit Talandier. Son patron, Arthur Jafrézic, quarante-cinq ans, a été retrouvé mort à Étretat, en Normandie, dans la maison familiale. C’est sa fille qui a découvert le corps hier soir, elle venait passer le week-end avec son père qui était en pleine dépression. Pour vos collègues de Caen, ça pourrait être à cause du rachat en bourse d’une part importante du capital de l’entreprise par un concurrent irlandais. D’après ce que je sais en économie, une OPA est dite hostile lorsqu’elle est menée par surprise. À l’heure qu’il est, on ne sait pas s’il s’agit d’un suicide ou…
– D’un meurtre, suggéra Delaunay.
 » (Le mystère d’Étretat)


* Aude LHOTELAIS : Piège normand. Éditions Ravet-Anceau, 2012, 272 pages.
Aude Lhotelais est une musicienne de jazz havraise qui s’est lancée dans l’écriture. Piège normand, sur le thème de la chasse au tueur en série, est un prolongement du premier roman de l’auteure : Le tueur de Rouen se dévoile et nous emmène ici jusqu’à Étretat. Attention, âmes sensibles s’abstenir.



* Jean-Paul HALNAUT : G.I.’s Blue, Le Havre 1944. Éditions des Falaises, 2015, 224 pages.
Cet auteur havrais a fait de la Seconde Guerre Mondiale le thème de plusieurs romans policiers, dont celui-ci, qui a été récompensé du prix normand de littérature 2013 par le Lions Club de Normandie. Un des protagonistes du récit est un voyou américain, né à Étretat et revenu en Normandie sous l’uniforme des GIs.


Sur un ton plus léger

* Gérard MOREL : Madame Veuve enquête à Etretat. Ysec éditions, 2005, 205 pages.
Les manœuvres d’une veuve peu orthodoxe, dont l’auteur, magistrat de profession, a fait une héroïne récurrente avec Madame Veuve enquête à Honfleur. Ysec était un éditeur de Louviers, plutôt spécialisé dans les ouvrages traitant des deux guerres mondiales, et qui a fermé en janvier 2025.



* Ricardo SALVADOR : Arsenal et vieux dentiers. Éditions Ravet Anceau, 2016, 216 pages.
Thelma et Louise à Étretat. Le ton est à l’humour noir, les situations sont burlesques et les personnages sont joyeusement caricaturaux (les deux septuagénaires qui sont les héroïnes de ce micmac sont affublées sans vergogne des noms respectifs d’Hortense Petitpeu -clin d’œil à Prudence Petitpas, héroïne de BD ? et Latia Pabo-Kou). L’auteur est rémois.

« – On pourrait aller faire un tour à Étretat ! Depuis le temps que tu rêves d’y retourner.
À l’évocation de la petite ville normande, l’œil d’Hortense s’alluma, elle poussa un long soupir. Étretat, ravissant écrin brumeux où elle avait passé son voyage de noces bien des années plus tôt, Étretat où elle connut l’amour et le transport dans la petite chambre d’hôtel qui sentait le mimosa, bercée par le souffle de la houle et les cris des goélands.
Étretat où elle s’était juré de retourner un jour jeter un bouquet de patiences dans la mer du haut des falaises à la mémoire de son défunt époux. Elle lança un regard voilé vers la photo encadrée de l’Aiguille creuse qui avait échappé au carnage sur le buffet, puis dans un murmure teinte de regrets, elle susurra :
– Mais ce serait du vol…

– Les galets !
– C’est malhonnête.
– Les mouettes, la plage, les cerfs-volants…
– Les caramels au beurre salé aussi ?
 » (Arsenal et vieux dentiers, p. 28)

« – Histoire de gagner un peu de temps avec toutes ces formalités, vous êtes vraiment certain qu’on ne peut pas retenir l’hypothèse du suicide ? tenta-t-il en désespoir de cause.
Le maréchal des logis-chef haussa les sourcils, visiblement heurté.
– Et la balle dans l’œil gauche, elle est venue là toute seule peut-être ?
– Il aurait très bien pu se tirer une balle au bord du précipice. Histoire d’assurer le coup.
– Vous plaisantez, je suppose ? Je vous ai déjà mentionné qu’on n’avait pas découvert d’arme, ni au bord ni au pied de la falaise. Le projectile a été retrouvé et est d’ailleurs parti au service balistique.
– Bien sûr que je plaisantais, soupira Clozout en maudissant la perspicacité du fonctionnaire. Au moins il avait essayé.
– J’ai failli marcher ! Vous êtes des marrants, vous autres de la police !
– De joyeux drilles, de vrais boute-en-train, resoupira Clozout.
– En tout cas, on a fait comme vous avez dit, on a interrogé tous les hôtels, et on a localisé celui où sont descendues vos deux grands-mères.
L’Hôtel impérial de Normandie et de la Cochinchine réunies rue de l’Aiguille-Creuse. Chambre 227.
– Je vois, c’est le palace situé juste à côté de mon hôtel
. » (Arsenal et vieux dentiers, p. 146-147)


Adèle PRINCE : Meurtres-frites à la crème. Éd. Bookelis (autoédition), 2021, 214 pages.
Dans ce livre au titre culinaire et san-antonien, premier de la série « Les enquêtes de Charlotte Latourette », Étretat prend le nom peu flatteur de Tarteville-sur-mer. L’héroïne, qui tient le restaurant La Pompadour, est une enquêtrice amateure dans la veine des cosy mysteries britanniques, très en vogue actuellement. L’auteure est franco-britannique, née d’une mère normande, et a grandi au Havre. Elle vit à Londres.

« La dernière fois qu’il a neigé à Tarteville sur mer, j’avais dix-sept ans. Je m’en souviens encore. Les falaises semblaient plus blanches que ce soir, faut dire que hors saison, elles ne sont plus illuminées artificiellement – une décision du Maire pour faire des économies. Quel paysage ! Le vent s’engouffre avec les flocons sous ma capuche. Je frissonne de bonheur. La vie serait parfaite si mon restau marchait. En hiver, Tarteville se meurt un peu, alors survivre sans les touristes devient mission impossible. » (Meurtes-frites à la crème, p. 11)
« – Gendarmerie de Tarteville sur mer.
– Je… il… il y a une vieille dame sur la terrasse.
– À cette heure ?
– Je veux dire… il y a un cadavre sur la terrasse. Venez tout de suite.
Le mot cadavre me met en mode panique, je ne sais pas comment il est sorti de ma bouche. J’ai les jambes qui se ramollissent et la gorge serrée tout à coup. Et si c’était un crime ? L’agresseur rôde peut-être encore ou je l’aurais dérangé au beau milieu de son larcin. J’en tremble.
– Pardon, vous pouvez répéter ?
La frousse me donne une logorrhée pleine d’agressivité.
– Mais monsieur, vous croyez que je n’ai que ça à faire ? Je suis la propriétaire du restaurant La Pompadour. Une vieille dame semble à moitié morte sur un banc en bord de mer.
– Elle est morte ou pas ?
– Je ne suis pas médecin.
 » (Meurtes-frites à la crème, p. 15)


Une certaine image d’Étretat

Soyons franc, la qualité littéraire de tous ces ouvrages est très inégale, heureusement le plaisir de retrouver des lieux familiers incite à l’indulgence. Mais quelle image est-elle finalement transmise par ces écrits ? Dans l’ensemble, elle n’est pas particulièrement idyllique ; il est vrai que le style du polar ou du thriller s’accorde mal avec une ambiance enchanteresse.
La connaissance d’Étretat que montrent les différents auteurs est très inégale ; certains sont suffisamment familiers du village ou bien se sont assez documentés pour en fournir une peinture réaliste. Pour d’autres, a contrario, Étretat n’est qu’un label aguichant et leur méconnaissance des lieux se traduit par des descriptions très elliptiques voire totalement imaginaires, ce qui est évidemment acceptable dans le domaine de la fiction. À la lecture, Étretat apparaît plutôt comme un décor de cinéma, parcouru par des hordes de figurants que seraient les touristes, dernier stade d’une évolution qui a connu des jours plus attrayants.

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